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Exploration sur les « Éducations à »

L’institution scolaire, en France comme ailleurs, semble subir de nombreuses transformations. C’est ainsi que bien des réformes ou mesures publiques déploient les instruments constitutifs de ce qu’il est convenu d’appeler les « nouvelles politiques éducatives » (Mons, 2007), associant des nouvelles formes de régulation des politiques éducatives, une pluralisation apparente des finalités et principes de justice, une constante rhétorique de l’innovation, de nouvelles modalités de « discours pédagogiques » et de découpages curriculaires qui semblent déplacer les frontières communément instituées en ce domaine. Les analyses portant sur ces transformations et mouvements, déjà nombreuses, diffèrent, parfois fortement ; elles doivent largement encore être documentées et questionnées, et d’autant plus en ce qui concerne les questions curriculaires.

Sans prétendre aborder le tout de ces mutations, ce projet vise à centrer la réflexion sur l’émergence et le développement de l’une des catégories ici en jeu : les « éducations à » (Forquin, 2008 ; Fabre, 2014). Celles-ci ont déjà été objet de quelques questionnements et travaux, mais là aussi, dans un ordre dispersé, parfois très segmenté, entre frontières disciplinaires et domaines de spécialités. On dispose encore de peu d’observations empiriques pour certaines d’entre elles ; bien plus pour d’autres (sur l’éducation artistique et culturelle notamment) et il est à ce jour difficile de saisir l’ensemble des enjeux éducatifs et sociaux qu’elles mettent en jeu.

Plusieurs caractéristiques des « éducations à » nous semblent en tout cas appeler un regard complémentaire et plus approfondi.

1. Celles-ci innovent tant par leur organisation que par leur finalité et leurs modes de « transmission » : elles sont pensées comme « transversales » et non pas dans le cadre tubulaire ou segmenté des « disciplines » telles qu’elles sont enseignées, notamment dans le secondaire. Les « éducations à » visent l’acquisition de connaissances et de compétences, mais elles jouent aussi sur le registre des valeurs et d’orientations explicitement normatives : responsabilité, égalité, citoyenneté, civisme, etc. Elles peuvent être liées à des « problèmes sociaux » et « publics » relayant des préoccupations plurielles dont elles consacrent le prolongement en discours pédagogique, le plus souvent dans la logique d’une action de prévention et/ou d’ouverture sociale et culturelle. De ce point de vue, elles peuvent consacrer une conception plus « régulatrice » qu’« instructrice » du discours pédagogique, et prétendre « compléter », « se substituer », et/ou ou s’ajouter aux visées cognitives de l’enseignement scolaire, dans une visée comportementaliste et/ou instrumentale. Une question clé pourrait d’ailleurs être de savoir quand et comment ce n’est pas le cas : en quoil « éducations à » peuvent faire bouger certaines des clôtures des découpages disciplinaires classiques, pour renforcer leur appropriation égalitaire ou leur visée instructrice et émancipatrice ?

2. Ces « éducations à » sont multiples et semblent même constamment s’étendre de manière surprenante : éducation à la santé, à l’égalité, au développement durable, éducation artistique et culturelle, à la sexualité, à la citoyenneté, à l’esprit d’entreprise, à la défense, à l’orientation etc., Elles prennent des formes variées : elles peuvent être prises en charge par des enseignant-es dans le cadre du collège, notamment dans le cadre des enseignements pluridisciplinaires, être déléguées à des intervenant-es extérieur-es, comme des associations, ou tenter d’associer ces acteurs dans la logique de rencontres en mode de fonctionnement par « projets » ou « parcours ». Elles peuvent aussi se constituer ou se promouvoir en domaines d’expertises et même de champ de spécialité dans l’enseignement supérieur (Bakha, 2016). Ceci ne signifie pas pour autant que tout soit réellement « nouveau » en ce domaine, les historiens de l’analyse des contenus d’enseignement le rappellent parfois, permettant ainsi de problématiser les oppositions trop rapides qui captent nos regards sur les modalités curriculaires, les logiques de leur construction et de leur institutionnalisation aussi bien que le schéma des évolutions linéaires que l’idéologie de l’innovation, ou sa dénonciation critique mobilisent.

3. Au niveau de leur mise en œuvre, les « éducations à » peuvent être appelées à s’inscrire, ou trouver leur place dans les découpages disciplinaires existants, ou à s’y juxtaposer en mode « additif ». Elles peuvent être un mode d’entrée privilégié dans la logique de « dispositifs » (Barrère, 2013) ouverte dans le processus de la territorialisation de l’action éducative au seuil des années quatre-vingt. Elles semblent faire bouger – mais jusqu’à quel point, comment, et dans quel sens ? – les contours de la « forme scolaire » (Vincent, Lahire, Thin, 1994) et la conception du travail scolaire. Mais elles peuvent aussi, paradoxalement, être perçues comme poursuite de la « scolarisation des meurs » justement aussi engagée par le développement de cette même forme scolaire (Bongrand, 2009). Elles posent en tout cas la question des modes de subjectivation et de socialisation aujourd’hui promus par la scolarisation.

5. Au niveau de la conception, elles sont par ailleurs inscrites dans des agendas politiques et institutionnels qui redessinent les frontières de plusieurs politiques publiques (sociales, santé, environnement, culturelles…). L’atelier ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur la genèse de la catégorie, en général et de ses multiples déclinaisons : celles-ci font intervenir non seulement ces politiques, mais aussi des collectivités, des acteurs associatifs et formels de l’éducation et de la formation. Le développement et l’institution du socle minimum de connaissances, de compétences et de culture, de par la logique des transformations curriculaires que celui-ci met en scène et les recompositions des domaines d’enseignement, constitue de fait aujourd’hui l’un des cadres de référence qui légitiment et instituent cette transformation du « discours pédagogique » (au sens de Bernstein, 2007) portée par ces « éducations à ». Mais les thématiques et problèmes constitutifs de ces « éducations à » relèvent aussi des agendas des autres politiques publiques concernées et qui n’avaient pas, ou peu, ou différemment été converties en domaines d’actions dans le champ scolaire. On peut d’ailleurs ajouter l’hypothèse qu’elles contribuent aussi à redessiner les référentiels de ces mêmes politiques publiques se reconfigurant, comme on le voit dans le domaine de la santé publique, dans le registre d’une nouvelle forme de gouvernementalité fondée sur une « fiction politique atomiste » (Bergeron et al. 2011).

D’autre part, si, dans la logique du « socle », ou de ses diverses variations telles qu’elles s’observent à l’échelle internationale (par exemple dans la logique des Key competencies promues à l’échelle européenne) celles-ci peuvent s’installer et de fait s’enseigner comme élément « d’une culture commune » dont tous doivent bénéficier, les « éducation à » entrent aussi en jeu dans la diversification de l’offre scolaire et d’un enseignement « ciblé » sur certains territoires ou certaines catégories de populations, incluant les variations sociales et de genre, associant sans doute plusieurs principes de découpages constitutifs des différentes politiques en questions selon différentes modalités qu’il s’agirait sans doute là aussi pertinent de mieux questionner.

7. Enfin, la mise en place de ces dispositifs s’accompagne souvent d’une demande d’évaluation. L’expérience de l’éducation artistique et culturelle (EAC), sans doute la plus documentée, peut nous servir d’exemple, à l’heure où la recherche en ce domaine en est aux méta-analyses des études déjà produites (Bamford 2006 ; Winner, Goldstein, Vincent-Lancrin, 2014 ; Lauret 2014, Bordeaux, Kerlan, 2016 ). Les recherches montrent combien les évaluations peuvent être distinguées en deux groupes : effets dits « intrinsèques » (l’effet sur l’acquisition de compétences dans l’art en question : musique, théâtre, danse, arts plastiques), et effets dits « extrinsèques », c’est-à-dire les effets attendus soit sur un tout autre domaine (la musique et les compétences en mathématiques par exemple), ou en termes de valeurs ou de comportement général : le théâtre et le goût de l’école, la danse et le vivre ensemble. Outre le contour souvent très flou de certaines de ces notions (« bonheur », « plaisir », « développement personnel »), qui peuvent se décliner en visée comportementaliste ou instrumentale ; outre la mobilisation parfois de liens de causalité assez aléatoires entre tel dispositif et tel effet, ces travaux témoignent de la nécessité de prendre du recul sur les multiples études d’évaluation de tel ou tel dispositif : qu’est-ce qu’une demande d’évaluation. Qu’est-ce qu’évaluer ? Comment le ou la chercheur-e peut-ils s’emparer de ces demandes qui leur sont faites, pour les traduire en questions de recherche ? Quelle est la place du ou de la chercheur-e dans ces dispositifs ?

Le projet que nous soumettons vise à approfondir les questionnements énoncés ci-dessus en mutualisant les apports des chercheurs ici associés et en programmant un séminaire dont l’objectif sera de synthétiser les apports, les manques et les points aveugles des travaux déjà engagés sur les « éducation à » dans une perspective pluri et interdisciplinaire (biologie, géographie, sciences de la communication, sociologie).

Chacun-e des participants-es de cet atelier a été confronté-e concrètement, ou théoriquement, à ces questions, et a affronté les difficultés de terrains liées au quiproquo dans les définitions accordées aux mêmes mots (« effets », « évaluation »...) selon les positionnements institutionnels (enseignants, élèves, chercheur, médiateur...), aux différences des attentes des personnes engagées dans ces dispositifs, ou même dans les contours de l’objet même des dispositifs (éducation à l’environnement, à l’égalité, à la santé, EAC) aux questions liées aux changements sociaux, réels ou supposés, attendus ou dénoncés, qui sont induits par ces formes curriculaires  :

- Julie Le Gall et Françoise Morel sur un terrain d’éducation à l’environnement en collège (avec sensibiliser à l’agriculture pour Julie),

- Christine Détrez et Clemence Perronnet sur un projet d’éducation à l’égalité et à la culture scientifique en primaire et collège,

- Mellila Bakha et Daniel Frandji sur un terrain portant sur l’éducation à la santé et pour un projet en émergence sur l’éducation à l’esprit d’entreprendre, dans la perspective d’une sociologie du curriculum ;

- Emmanuelle Zolesio sur un dispositif d’éducation à la sexualité en primaire, Marie-Christine Bordeaux sur des terrains d’éducation artistique et culturelle,

- Nathalie Davoust et Chloé Journo sur la question de l’éducation à la santé sur le thème de la vaccination.

L’atelier serait donc le lieu pour nous de prendre de la distance par rapport aux urgences de ces terrains, et aux segmentations induites par les analyses produites en réponse aux demandes d’évaluation ou aux domaines de spécialisation sur les domaines et thématiques de chacune de ces « éducations à », de manière à examiner la possibilité de production d’un projet de recherche de type ANR plus ambitieux. Le séminaire qui aura lieu une fois par mois alternera des séances de mise en commun des terrains et des séances d’invitation extérieure (une dizaine de séances).

 

Bibliographie

 

Bakha Mellila, (2016), L’ « éducation à la santé » ou l’émergence d’une entité curriculaire. Une exploration des processus systémiques et sociaux, Mémoire de M2, sous la direction de Daniel Frandji.

Barrère Anne, (2013), « La montée des dispositifs : un nouvel âge de l’organisation scolaire » in Carrefours de l’éducation, 2013b/2, n° 36, p. 95-116.

Bergeron Henri et al., « Un entrepreneur privé de politique publique. La lutte contre l’obésité, entre santé publique et intérêt privé », Revue française de science politique 2011/2 (Vol. 61),
p. 201-229.


Bernstein Basil (2007). Pédagogie, Contrôle symbolique, Identité. Théorie, recherche, critique. Québec : Presses Universitaires de Laval.

Bongrand Philippe, (2009), La scolarisation des mœurs, sociohistoire de deux politiques de scolarisation en France depuis la Libération, thèse de doctorat en sciences politiques, 2009, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Forquin Jean-Claude, 2008, Sociologie du curriculum, PUR.

Bamford Ann, (2006), The Who Factor : Global research compendium of the impact of the Art in Education, Belin, Waxmann Verlag.

Bordeaux Marie Christine, Kerlan Alain (dir), (2016), L’évaluation des « effets » de l’éducation artistique et culturelle. Etude méthodologique et épistémologique, rapport de recherche, Ministère de la Culture.

Détrez Christine & Perronnet Clémence 2017, « Toutes et tous égaux devant la science ? ». Évaluer les effets d’un projet sur l’égalité filles-garçons en sciences » , Agora jeunesse, à paraître.

Fabre Michel, (2014), « Les « Éducations à » : problématisation et prudence », Éducation et socialisation,36 | 2014,

Lauret Jean-Marc, (2014), L’art fait-il grandir l’enfant ? Essai sur l’évaluation de l’éducation artistique et culturelle, Toulouse, Editions de l’attribut.

Mons Nathalie, (2007), Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elle les bons choix ? Paris : PUF.

Vincent Guy, Lahire B. & Thin D. (1994). « Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire ». In G. Vincent Guy (dir), L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles. Lyon : PUL, 11-48.


Winner Ellen, Goldstein Thalia, Vincent Lancrin Stéphan, (2014), L’art pour l’art ? L’impact de l’éducation artistique, rapport pour l’OCDE

 

L’équipe du projet

 

Porteuse : Julie Le Gall, MCF, géographie, ENS de Lyon, UMR EVS

 

Mellila Bakha, M2 sociologie, Lyon 2, CMW

Marie Christine Bordeaux, PU Sciences du langage et de la communication, Grenoble, GRESEC

Nathalie Davoust, MCF en biologie, ENS de Lyon, LBMC

Christine Détrez, PU sociologie, ENS de Lyon, UMR CMW et UMS LLE

Daniel Frandji, MCF sociologie, ENS de Lyon, UMR Triangle et UMS LLE

Chloé Journo, MCF biologie, ENS de Lyon

Françoise Morel, Ingénieure de recherche, ENS de Lyon, IFE

Clémence Perronnet, doctorante sociologie, ENS de Lyon, UMR CMW

Emmanuelle Zolesio, MCF sociologie, ESPE de Clermont Ferrand, UMR CMW

 

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