AAC "Au-delà du national. Globalisation, circulations et comparaisons dans l’enseignement supérieur et la recherche"
Présentation
Du 17 au 19 décembre 2025 se tiendra la conférence du RESUP intitulée "Au-delà du national. Globalisation, circulations et comparaisons dans l'enseignement supérieur et la recherche".
Cette conférence se tiendra à Sciences Po Paris.
Soumission des propositions
Les propositions de communication pour le colloque doivent prendre la forme d’un document d’au plus 3000 signes spécifiant la question de recherche, l’approche théorique mobilisée et les sources utilisées pour y répondre. Les propositions doivent aussi spécifier l’axe ou les axes de l’appel à communication dans lesquels elles s’inscrivent.
Les propositions sont à envoyer avant le 15 septembre 2025 aux adresses suivantes : jerome.aust@sciencespo.fr et christine.musselin@sciencespo.fr.
Présentation de la conférence
Jusqu’il y a peu, toutes les contributions afférentes aux transformations de l’enseignement supérieur et de la recherche rappelaient un fait bien établi : le monde académique se globalisait ou à tout le moins il devenait plus international. Ces dynamiques étaient protéiformes et elles avaient des conséquences différentes selon les institutions d’enseignement supérieur et les aires géographiques. Mais ces dynamiques étaient en cours, alimentées par la libéralisation des échanges, les coopérations que cela permettait et par la compétition internationale. Après la période de confinement imposée par le COVID-19, la seconde élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, la montée des néonationalismes, la guerre en Ukraine ou encore les conséquences du conflit israélo-palestinien ont récemment rappelé que l’intensification des échanges n’était pas un phénomène irrépressible et que le monde académique n’était pas isolé des évènements politiques. Au-delà de leurs conséquences politiques et humaines, ces évènements ont montré que la globalisation, l’internationalisation ou encore la transnationalisation devaient être considérées pour ce qu’elles sont : des processus encore susceptibles de transformations voire de remises en cause, à mesure de l’évolution du cours du monde.
Ces éléments constituent un point de départ pour interroger les formes des échanges et des relations académiques qui s’établissent au-delà du national, qu’on les nomme globalisation, internationalisation ou bien encore transnationalisation. Plutôt que de chercher d’emblée à les isoler en les distinguant, nous proposons de les rassembler autour de l’idée de dynamiques supranationales. Sans renoncer à les caractériser, il s’agit d’appréhender ces processus en interaction, mais aussi à travers les liens qu’ils entretiennent avec des dynamiques plus nettement nationales ou locales. Il s’agit aussi de restituer leur épaisseur historique : si ces phénomènes ont une histoire longue, leurs formes, leur intensité, leurs relations varient aussi considérablement. Il s’agit enfin de comprendre leurs variations spatiales : les dynamiques supranationales ont des formes variables selon les aires géographiques, selon que l’on parle d’enseignement ou de recherche et elles sont aussi constitutives d’asymétries notamment technologiques entre les régions du monde.
Autour de ces pistes analytiques, cinq thématiques sont proposées. Elles concernent les infrastructures des échanges internationaux, les idées et les modèles, les processus de désinstitutionnalisation, les relations entre privé et public et les enjeux théoriques et méthodologiques de la saisie des dynamiques supranationales.
1. Les infrastructures des dynamiques supranationales
Pour s’établir et se poursuivre, les dynamiques supranationales nécessitent des infrastructures. Elles peuvent prendre la forme d’organisations ou d’institutions : les réseaux scientifiques, les associations internationales d’universités ou de disciplines, les organisations interétatiques ou encore les fondations privées en sont des exemples. Ces infrastructures peuvent aussi être des instruments de mesure ou de classement : le H Index ou les classements académiques, pour ne citer que ces deux exemples, permettent la mise en comparaison des chercheurs et des établissements et alimentent la globalisation des échanges et des espaces de référence. Les grands équipements scientifiques mondiaux constituent aussi de telles infrastructures : qu’ils s’agissent de grands équipements de la physique des particules ou de très grandes bases de données pour les sciences sociales ou les sciences du vivant, ils constituent aussi des supports matériels des échanges savants à l’échelle mondiale. Ces infrastructures peuvent être aussi des politiques publiques : chacun à leur manière, le processus de Bologne, l’European Research Council ou la constitution de l’espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche participent des dynamiques supranationales.
Les communications proposées pourront envisager plusieurs dimensions relatives à ces infrastructures.
- Elles pourront questionner leur genèse. Ces infrastructures ont déjà une histoire longue, à l’exemple du CERN. Qui sont les réformateurs qui ont œuvré à leur mise en place ? Quelles étaient leurs intentions ? Quelles difficultés ont-ils dû surmonter ?
- Les contributions pourront aussi envisager la manière dont ces infrastructures cadrent les échanges, en favorisent certaines formes et en contraignent d’autres. Il s’agira ici de comprendre quels types de circulations, de globalisations ou de comparaisons, ces infrastructures mettent en place. Y a-t-il des spécificités disciplinaires dans ces échanges ? On questionnera également les effets liés aux inégalités d’accès à des infrastructures matérielles et des ressources numériques (bases de données, etc.), selon les pays ou les régions du monde.
- Il s’agira aussi de s’interroger sur les régimes historiques d’échanges que ces infrastructures dessinent. En quoi la période contemporaine est-elle spécifique ? Les infrastructures sont-elles d’ailleurs des institutions marquées par des formes d’inertie ou de résistance au changement ? Évoluent-elles pour s’adapter aux « nouveaux » contextes mondiaux ? Ces infrastructures sont aussi des véhicules des dynamiques supranationales : en quoi permettent-elles de les accélérer ? Que se passe-t-il quand elles sont menacées ou que des décisions politiques conduisent à les supprimer ? Quelles sont les conséquences de leur perte de légitimité et des contestations dont elles peuvent faire l’objet, à l’image de celles qui marquent les institutions onusiennes ?
2. Idées et modèles : fabrique, diffusion, résistances
Les réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche se nourrissent, depuis longtemps, de modèles et de références étrangères. La Sorbonne ou Bologne au Moyen-Âge, l’université de Humboldt au XIXe siècle ou encore l’université de recherche états-unienne constituent les figures historiques de ces modèles. Ils ne concernent d’ailleurs pas que les universités : la Silicon Valley, la route 128 ou encore le modèle japonais en constituent les pendants dans le champ de l’innovation.
Les contributions au colloque pourront notamment questionner les points suivants :
- Les conditions d’émergence et de circulation de ces modèles. Pour quelle raison certains modèles deviennent-ils des références ? Quelles caractéristiques facilitent l’exportation ou l’importation de certaines formes organisationnelles ou certaines conceptions de l’enseignement supérieur ? Qui les porte ? Comment se forment-ils au niveau d’un État ou d’une région du monde ? Comment voyagent-ils d’un espace à un autre ? Comment ces circulations redéfinissent-elles les modèles, le transfert n’étant jamais une opération de stricte copie ou de parfaite déclinaison ? En quoi ces modèles participent-ils à la reproduction ou à la contestation des hégémonies sur la scène mondiale ? Comment s’inscrivent-ils dans des dynamiques d’échange entre pays du Nord et Sud global ?
- Les résistances que ces modèles et ces idées génèrent. Les établissements, les réformes ou les systèmes nationaux peuvent aussi se construire contre certaines idées et certains modèles qui font alors figure de repoussoirs, de solutions à ne pas mettre en œuvre. Quelles sont les résistances aux modèles ? Comment s’incarnent-elles dans des mouvements sociaux ? Quelles incidences ont ces contestations sur les modèles eux-mêmes ?
- La question des modèles pose aussi la question des asymétries : ils sont en effet souvent liés à des espaces géographiques et deviennent des véhicules de leurs influences. L’Allemagne au XIXe siècle, l’URSS pour les pays d’Europe centrale et orientale au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, ou les États-Unis jusqu’il y a peu ont incarné ces références et les asymétries qu’elles engendrent. Comment ces asymétries sont-elles vécues et comment celles et ceux qui se réfèrent au modèle en font-ils l’expérience ? Certains espaces perdent aussi leur statut de référence : comment ces déclassements sont-ils vécus ? Comment les expliquer ? Comment dans des espaces déjà marqués par la prévalence de certains modèles des contre modèles ou des modèles alternatifs peuvent-ils émerger ? En quoi les tendances récentes à la fermeture remettent-elles en cause, ou participent-elles au contraire, de la réaffirmation de la globalisation scientifique comme du seul horizon scientifique légitime.
3. Démondialisation, altermondialisation et mise à distance de la mondialisation
La seconde élection de Donald Trump et ses suites politiques s’inscrivent dans un mouvement plus large et profond de réactions à la mondialisation. Mais elles font aussi la démonstration que l’intensification des échanges supranationaux peut connaître de puissants et spectaculaires retournements. Au-delà de ce rappel, ces évènements posent plusieurs questions importantes pour les sciences sociales.
- La première est celle de la remise en cause d’un ordre mondial construit après la Seconde Guerre mondiale et amplifié après la chute du mur de Berlin, basé sur la libre circulation des savoirs, des personnes et le développement des coopérations académiques internationales. Il s’agit d’abord de saisir les dynamiques et les temporalités de ce mouvement. Par qui le supranational est-il attaqué ? Quelles formes ces critiques prennent-elles ? Quelles sont leurs modalités et leurs limites ? Il faut aussi s’intéresser aux tentatives qui se développent pour endiguer cette évolution. Faut-il d’ores et déjà considérer que toute résistance à ces charges est vouée à l’échec et que l’ordre mondial que nous connaissions ne peut que disparaître ?
- Il s’agit aussi d’appréhender les alternatives qui se construisent dans ces contestations : la remise en cause de l’ordre international n’exprime pas seulement un repli national, mais peut aussi pousser à la constitution d’un ordre ou d’un système alternatif. Si c’est le cas, au nom de quels principes la contestation est-elle menée ? En quoi dessinent-ils une alternative ?
- La question de la distance vis-à-vis des dynamiques supranationales se pose également. Le repli états-unien est particulièrement spectaculaire parce que les États-Unis revendiquaient être le cœur du système international, mais il prend aussi sans doute des formes plus discrètes et plus subies. Des zones régionales, nationales ou locales, y compris au sein des pays de l’OCDE, restent-elles à distance des dynamiques supranationales ? Cette distance est-elle subie ? Peut-elle être revendiquée ? Peut-elle devenir le creuset de nouvelles formes d’échanges et de revendications ? Comment ce travail de mise à distance des dynamiques supranationales s’opère-t-il ? Et comment est-il légitimé ?
4. Public/privé
La question des dynamiques supranationales pose aussi la question des relations entre les sphères publiques et privées. Les acteurs privés jouent en effet un rôle important dans ces phénomènes. Leur implication est ancienne, à l’image du soutien de la fondation Rockefeller pendant l’entre-deux-guerres ou de la fondation Ford dans l’après-Seconde Guerre mondiale, mais elle se renouvelle : des groupes privés multinationaux de formation se constituent et ils développent une offre mondiale d’enseignement. L’action des fondations elle-même se transforme : la fondation Bill et Mélinda Gates est devenue, par exemple, un acteur de la gouvernance mondiale par le développement de ses programmes ou encore par la place qu’elle occupe dans certaines organisations internationales, comme l’Organisation mondiale de la santé. Ce rôle du privé dans les dynamiques supranationales pose une série de questions.
- Quelles sont les évolutions de la participation des acteurs privés à la globalisation ? En quoi contribuent-ils à la globalisation ou à la mondialisation des échanges ? En quoi participent-ils à sa gouvernance ? En quoi contribuent-ils à façonner les échanges mondiaux et la circulation des connaissances ? Par leur participation intensive à la constitution, à l’archivage et à l’exploitation de gigantesques bases de données, des entreprises telles que les GAFAM ne vont-elles pas produire demain plus de recherches que les établissements d’enseignement supérieur et devenir les acteurs centraux et des points de contrôle de la production scientifique, voire de la formation ?
- Parmi les acteurs privés, on ne peut ignorer le rôle des familles dans la circulation des étudiants et notamment les stratégies que développent les parents de milieux socio-économiques favorisés pour envoyer leurs enfants dans des universités internationales qui leur semblent plus attractives que leurs institutions nationales, qui se trouvent en retour affaiblies. Quelles sont les incidences et la portée de ces stratégies familiales ? Comment modèlent-elles les circulations étudiantes à l’échelle supranationale ?
- Ce versant privé des dynamiques supranationales ne signifie pas que les pouvoirs publics n’y jouent pas un rôle déterminant. Ils continuent au contraire à les façonner. Quel est le rôle des États, des pouvoirs locaux, des institutions internationales dans la structuration des dynamiques supranationales ? Les exemples passés comme l’actualité récente ont aussi montré que ce rôle ne prend pas systématiquement la forme d’un soutien : les États peuvent aussi chercher à entraver la circulation des chercheurs, des étudiants et des connaissances par leurs politiques. Quelles formes prennent ces entreprises de dé-globalisation, ou de dés-internationalisation ?
- Les mouvements sociaux jouent enfin un rôle dans ces dynamiques, ce que le conflit israélo-palestinien a récemment rappelé. Ils peuvent être des soutiens aux dynamiques d’échange en appelant au développement de coopérations avec certaines aires géographiques et avec certains pays. Ils peuvent aussi constituer des freins à ces échanges en appelant au boycott de certaines institutions ou de certains pays. Quel est alors le rôle de ces mouvements dans la structuration des dynamiques supranationales ?
5. Conceptualiser et enquêter sur les dynamiques supranationales
Souvent, les travaux sur la globalisation insistent sur les impasses du nationalisme méthodologique parce qu’il construit l’exceptionnalité des cas nationaux en minorant leurs relations et en sous-estimant la dimension mondiale des phénomènes. Au fil du temps, un vocabulaire scientifique s’est constitué pour dire le caractère mondial des échanges et des références, voire la société mondiale. La saisie des dynamiques supranationales pose cependant aussi des questions théoriques et méthodologiques :
- Quels sont les enjeux théoriques impliqués par l’emploi de tel ou tel concept (globalisation, circulation, transnationalisation, comparaison, société mondiale) ?
- Comment enquêter sur les dynamiques supranationales ? À partir de quelles sources ? Quels sont les difficultés et les défis posés par de telles enquêtes ?
- La globalisation, la transnationalisation, l’internationalisation, la comparaison internationale sont aussi des références pour les réformateurs eux-mêmes. Que faire de ces usages indigènes des concepts et des notions académiques ? Comment circulent-ils de l’espace académique à l’espace public ? Qui les défend, les conteste ou les utilise ? Quels sont les chercheurs qui participent à ces transferts ? Comment faire de ces usages réformateurs des notions académiques des terrains d’enquête ?