Philosophie pour les enfants : interdisciplinarité et complexité des pratiques (Atelier 2020)
Philosophie pour les enfants : interdisciplinarité et complexité des pratiques
Depuis plus d’une vingtaine d’années désormais, le développement de la philosophie pour les enfants (P4C) au sein de l’espace francophone donne lieu à une importante littérature scientifique interdisciplinaire. Les sciences du langage, la psychologie, la philosophie, la sociologie ou encore les sciences de l’éducation sont ainsi sollicitées par les chercheurs pour produire des outils d’analyse, des méthodes de recherche et des cadres conceptuels capables d’appréhender ce développement (Fournel et Simon, 2018). Cette interdisciplinarité est en effet doublement nécessaire, car, proportionnellement à ce développement, les différences théoriques et pratiques au sein de la P4C s’accroissent. Qu’il s’agisse des discussions à visée démocratique et philosophique (Tozzi, 2010), des ateliers de philosophie (Auriac-Slusarczyk, 2015) ou encore des communautés de recherche (Sharp, 2018), la P4C est devenu un champ de recherche conséquent, notamment en France, au Québec, en Belgique et en Suisse. Cependant au-delà de cette diversité, un point commun rassemble les différents acteurs et promoteurs de cette pratique pédagogique : le sentiment d’appartenir à une communauté pédagogique innovante qui remet en cause de nombreuses évidences professionnelles des acteurs de l’éducation au nom de certaines promesses enthousiasmantes. Ainsi, l’objectif de cet atelier exploratoire est d’interroger ces promesses qui semblent constituer l’ADN même de la P4C.
Quelles sont ces promesses ? Raisonner à partir de la richesse de l’expérience personnelle, développer des capacités d’enquête, renforcer l’esprit critique, apprendre la démocratie, accroître des compétences de dialogue et d’argumentation, etc… (Slusarczyk et al. 2015, Duclos 2014, Leleux 2008) la première tâche de l’atelier sera de les définir précisément et d’en déterminer l’origine théorique. Pour ce faire, nous avons donc à cœur de mobiliser la philosophie pragmatiste américaine (Dewey, Sharp, Lipman, Sasseville, etc.) en espérant trouver au sein de ses écrits les revendications démocratiques et sociales sur lesquelles la P4C fonde ses promesses. Une seconde tâche de cet atelier sera de rendre compte de ses promesses théoriques à l’aune des pratiques actuelles. Qu’en est-il réellement des ambitions de la P4C pour les praticiens de ces dispositifs pédagogiques ? Avec quels outils ces derniers sollicitent-ils et évaluent-ils ces attentes théoriques ? Ici, les méthodes qualitatives autant que quantitatives des sciences humaines et sociales nous seront nécessaires pour mesurer la proximité des attentes théoriques avec les performances pratiques. Enfin, une troisième et dernière tâche de cet atelier exploratoire sera d’associer chercheurs et praticiens autour de la question des évolutions possibles de la P4C au sein de l’espace francophone. Quelles sont les directions pédagogiques, les orientations théoriques, les constructions institutionnelles des pratiques actuelles de la P4C au sein de la Région Rhône-Alpes Auvergne et que nous disent ces tendances pour l’avenir de la P4C ? Pour mener à bien cette troisième tâche dans une perspective interdisciplinaire, il nous sera nécessaire d’inviter de nombreux praticiens des structures éducatives utilisant la P4C (les associations SEVE et Philosoph’art, les membres de Philéduc, les Francas (Graines de philo), l’EEDD d’Auvergne-Rhône-Alpes, les praticiens de l’UNESCO, etc.).
Plus précisément, notre atelier exploratoire se compose en six séances qui seront organisées à partir d’autant d’axes de recherche propres à notre champ. Mêmes s’ils sont susceptibles d’évoluer à ce stade du projet, ces axes fixent une unité heuristique initiale aux réflexions menées lors de ces ateliers.
1/ P4C et Expérience : En tant que dispositif pédagogique, quelles sont les expériences (formelles, vécues, cachées) que la P4C permet ? Quelle conception de l’expérience apparait au sein des réflexions des chercheurs et des praticiens ? Avec les sciences du langage, des théories du « collaborative design » et de la pédagogie, que gagne-t-on à croiser les regards portant sur cette notion ?
2/ P4C et Histoire des idées : La pratique de la P4C oriente-t-elle les conceptions philosophiques des enfants vers un cadre conceptuel identifiable par l’histoire des idées ? Une influence théorique est-elle observable par la suite au sein du curriculum scolaire français ? L’interdisciplinarité peut-elle établir sur ces questions une complémentarité entre les sciences de l’éducation et l’histoire de la philosophie ?
3/ P4C et Enquête : Le modèle d’enquête philosophique comme démarche de connaissance qui intègre à la fois une dimension individuelle et collective. Quelles formes de conceptualisations collectives se développent dans les interactions ayant cours en P4C ? En quoi relèvent-elles de la notion d’enquête ou amènent-elles à la redéfinir au-delà des frontières disciplinaires classiques ?
4/ P4C et Corporéité : A partir des dernières conceptions de la cognition, nous nous interrogerons sur la façon dont la construction du sens, en P4C, se réalise dans l’interaction des corps entre eux et avec le monde. En couplant observation d’actes de langages (phénomènes pragmatiques), et étude de mouvements de pensée (phénomènes mentaux), nous tenterons de saisir l’émergence de raisonnements incarnés et émotionnés.
5/ P4C et Individualité : La contribution de la P4C à la construction de l’individu, ses promesses d’épanouissement et ses risques d’individualisme. Comment s’articule la pratique de la P4C à une démarche éthique de bien-être et comment peut-elle se protéger des tentations spiritualistes, moralisantes ou de développement personnel fallacieuses ?
6/ P4C et Démocratie : L’association de la P4C à une démarche éthique et politique d’acquisition des valeurs et des compétences citoyennes. La pratique de la P4C a-t-elle les moyens concrets et pratiques de réaliser les promesses théoriques politiques des fondateurs de la P4C ? Une perspective interdisciplinaire et croisée de la philosophie politique et de la pédagogie est-elle un gain ici ?
Membres du projet :
Claire Polo, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’université Lyon 2, rattachée au laboratoire ECP. Porteuse du projet.
Kristine Lund, ingénieur de recherche au CNRS, HDR en sciences de l’éducation, rattachée au laboratoire ICAR. Personne associée au projet et membre du LLE.
Françoise Carraud, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’université Lyon 2 (ISPEF). Responsable de l’axe 1 du laboratoire ECP ; directrice adjointe de la SFR-RELYS.
Jean-Pascal Simon, maître de conférences en sciences du langage à l’université de Grenoble-Alpes, rattachée au laboratoire LIDILEM. Responsable du projet « Philéduc ».
Christophe Point, doctorant en philosophie de l’éducation, co-tutelle rattachée au laboratoire LISEC de l’Université de Lorraine (dir. Eirick Prairat, France) et à l’IDEA à l’Université Laval (dir. Luc Bégin, Canada). Professeur certifié de philosophie, ATER à l’Université Jean Monnet.
Marion Bérard, doctorante en philosophie à l’Université de Picardie Jules-Verne (dir. Layla Raïd et Bertrand Geay), rattachée au laboratoire CURAPP-ESS. Agrégée de philosophie.
Anda Fournel, docteure en sciences du langage à l’université de Grenoble-Alpes, rattachée au laboratoire LIDILEM. Chargée du projet PhiloPolis (Pratiques du dialogue philosophique dans la cité).
Camille Roelens, docteur en sciences de l’éducation et de la formation (dir. Philippe Foray, ECP). ATER à l’INSPE de l’académie de Lille Hauts-de-France, rattaché au laboratoire RECIFES.
Lidia Lebas-Fraczak, Maitre de conférences en linguistique à à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, laboratoire Recherche sur le Langage.
Emmanuelle Auriac-Slusarczyk, Maitre de conférences en psychologie à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, composante ESPE, Laboratoire ACTE, 4281.