EducMap
Décloisonner la recherche en éducation pour offrir des nouvelles opportunités scientifiques
Kristine Lund, IR CNRS, responsable du projet EducMap (UMR ICAR, UMS LLE), Mars 2016
La recherche en éducation est multidisciplinaire. Le travail de recherche porte sur une grande variété de sujets, en utilisant plusieurs approches théoriques et méthodologiques. Bien que cette diversité conduise à un champ productif et dynamique, nous soutenons qu'elle recèle aussi des opportunités manquées (Suthers, Lund, Rosé, Teplovs et Law, 2014). Une vision globale de la recherche en éducation permettrait d'identifier et de répondre à ces occasions manquées. Les approches scientométriques peuvent nous aider à obtenir cette vision globale. Cela a été l'objectif du projet EducMap (Lund, Jeong, Grauwin, Jensen, 2015), financé par une subvention PEPS CNRS. Le projet EducMap coïncide avec le moment où plus d’importance est accordée aux recherches interdisciplinaires sur l’éducation. En Janvier 2016 le Laboratoire de l'éducation (UMS LLE), sous tutelle du CNRS et de l'Ecole Normale Supérieure à Lyon a été crée. Il s’agit d’une pépinière interdisciplinaire appuyant sur cinq partenaires : l'Institut Français de l'Education (IFé) et les laboratoires de recherche ICAR, LARHRA, Centre Max Weber et Triangle. Ces structures étudient les sciences du langage, la didactique des disciplines, l'histoire, la sociologie et la politique. En outre, au LLE, nous établissons des collaborations avec des chercheurs en informatique et sciences cognitives.
Cartographier le champs de recherche en éducation
Les analyses scientométriques sont en expansion. Elles ont été utilisées pour cartographier les institutions scientifiques afin de comprendre leurs productivités scientifiques, les sous- domaines dans lesquelles elles publient, leurs sujets d'intérêt, leurs collaborations internationales (Grauwin & Jensen, 2011), ainsi que leur niveau d'interdisciplinarité (Jensen & Lutkovskaya, 2014) défini comme un degré d'intégration entre disciplines (Wagner, et. al, 2011).
La recherche en éducation met en place des formes d'intégration des disciplines participantes, mais il existe un manque de communication entre les sous-domaines. Issu de la méthode de couplage bibliographique (cf. Lund, Jeong, Grauwin, Jensen 2015), la Figure 1 montre les principaux sous-domaines de la recherche en éducation, telle qu’elle apparait dans la base de données Scopus 2000-20041 (en notant que cette base est partielle et favorise la recherche rédigée en anglais). Le tableau 1 présente une liste des clusters, triés suivant leur taille, à la suite de l'algorithme de couplage bibliographique.
Chaque cluster a son propre ensemble de références de base qui correspondent aux références qui sont les plus cités par les journaux du cluster. Par exemple, les références les plus cités dans le cluster Learning sont Lave et Wenger (1991), Vygotsky, (1978), Brown, Collins, et Duguid (1989), Wenger (1998), et Rogoff (1990). Ce sont des références théoriques au sein du paradigme socioculturel où il y a interdépendance entre soi et l'autre (personne, groupe, communauté, société) et l'accent est mis sur une médiation symbolique à travers des objets culturels (Glaveanu, 2011). Nous avons maintenant 15 années de données, jusqu’à la fin de 2014.
L'épaisseur d’un lien entre deux nœuds de la Figure 1 souligne leur connectivité proportionnellement au nombre d’articles de chaque cluster partageant les mêmes références. Notez que ce lien entre clusters découle surtout de références communes qui ne sont pas dans les références de base des clusters (à savoir les 20 références les plus cités). Cependant, deux références (Vygotski, 1978; Lave & Wenger, 1991) sont partagées par tous les clusters et sont les deux premières citées du cluster Learning pour la période 2000-2004. Ce résultat plaide en faveur de bases théoriques partagées dans l'éducation, mais nous avons besoin d'effectuer une analyse qualitative sur la façon dont ces auteurs sont cités pour valider cette hypothèse.
Clusters triés par taille | N | Clusters triés par taille | N |
---|---|---|---|
Learning | 1883 | Cognitive Studies of Learning | 790 |
Educational Equality | 1800 | Evaluation & Assessment | 733 |
Sociology of Education | 1715 | Math Education | 685 |
Child Behavior Development | 1534 | Language Teaching Methods | 675 |
Motivation | 1514 | Developmental Diabilities | 677 |
Science Education | 1370 | Measurement | 648 |
Higher Education | 1207 | Cooperative Learning | 554 |
Reading Education | 1140 | Civic Education | 417 |
Teacher Training | 799 | Child Cognitive Development | 415 |
Tableau 1. Les 18 principaux clusters bibliographiques de la recherche en éducation
Notre analyse a montré que certains clusters Learning, Motivation, Science Education, Math Education, et Teacher Training sont plus connectés entre eux que Language Teaching Methods, Sociology of Education, Child Cognitive Development, Civic Education, etDevelopmental Disabilities qui sont moins liés aux autres clusters. Ces cinq derniers clusterssont plus hétérogènes dans les références qu'ils partagent. Cela illustre leur focus sur des sujets liés à la recherche en éducation, mais aussi sur d'autres domaines.
A paraître dans la lettre d’information de L’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS en 2016
Identifier les occasions manquées
Un premier type d’occasion manquée est l’absence de communication entre des sous- domaines. Les résultats scientométriques montrent les différentes manières dont sont utilisées les constructions théoriques. Les analyses scientifiques sont très fragiles lorsqu'elles sont effectuées d'un seul et unique point de vue. Cela en limite radicalement les conclusions. Opérationnaliser ces constructions sous différents focus les rend plus robustes (Rosé et Lund, 2014). EducMap identifie les zones où les constructions théoriques sont opérationnalisées différemment. Par exemple, les recherches qui traitent de l'épistémologie personnelle, la cognition épistémique, et le développement, les croyances, les théories et les ressources épistémologiques sont dispersées dans différents clusters et ne partagent pas les mêmes références, alors que ces constructions pourraient bénéficier d’un rapprochement.
Un deuxième type d'occasion manquée est due à l’ignorance que les représentations de données sont déjà optimisées à des fins d'analyses particulières. Lorsque l'on cherche à aligner des représentations d'un corpus commun pour comparer les analyses, ces différences rendent la comparaison difficile (Lund, Suthers, Rosé, et Baker, 2014). Dans ce cas, EducMap permet de détecter des articles avec des représentations différentes de données similaires. L’objectif est de construire des constructions analytiques plus robustes.
Un troisième type d'occasion manquée se produit quand un champ se divise afin de poursuivre des objectifs spécifiques, mais ne maintient pas le contact avec l'évolution de l'autre domaine. Les deux champs Computer Supported Collaborative Work (CSCW) etComputer Supported Collaborative Learning (CSCL) sont un exemple. Cette division leur a permis de se concentrer d’une part sur le travail et d’autre part sur l'apprentissage. Les tentatives d'intégration sont récentes: CSCL @ work (Goggns, Jahnke, & Wulf, 2013).
Ces trois occasions manquées montrent qu’EducMap peut aider à l’intégration des disciplines.
Perspectives
Dans le projet EducMap, nous travaillons avec des experts des clusters afin d'identifier comment tirer profit de la diversité de la recherche en éducation. Avec quinze années de données, la priorité est de développer des outils de visualisation pour déterminer comment un champ évolue, en terme de théories, méthodes, technologies de soutien, ou de constructions conceptuelles. Nous utilisons EducMap (bientôt en ligne au LLE à l’ENS de Lyon) pour initier les étudiants à la recherche en éducation, et pour former des chercheurs à l'interdisciplinarité. Nous travaillons avec le Ministère de l'Education pour définir comment EducMap peut répondre à des questions d’éducation politique.
Références
Glaveanu, V. P. (2011). How are we creative together? Comparing sociocognitive and sociocultural answers. Theory & Psychology, 21 (4), 473-492.
Goggins, S., Jahnke, I. & Wulf, V. (Eds.) (2013) CSCL@Work: Case Studies of Collaborative Learning at Work. In C. Hoadley & N. Miyake (Series Eds.), Computer Supported Collaborative Learning Series: Vol. 14 (pp. 243-268). New York: Springer.
Grauwin, S., & Jensen P. (2011). Mapping scientific institutions. Scientometrics, 89, 943-954. Jensen, P. & Lutkouskaya, K. (2014) The many dimensions of laboratories’ interdisciplinarity. Scientometrics, 98(1), 619–631.
Lave, J., & Wenger, E. (1991). Situated learning: Legitimate peripheral participation. Cambridge: Cambridge University Press.
Lund, K., Jeong, H., Grauwin, S. & Jensen, P. (2015). A Scientometric Map of Global Educational Research.
Lund, K., Rosé, C. P., Suthers, D. D., & Baker, M. (2013). Epistemological encounters in multivocal settings. In D. D. Suthers, K. Lund, C. P. Rosé, C. Teplovs & N. Law (Eds.),Productive Multivocality in the Analysis of Group Interactions. In C. Hoadley & N. Miyake (Series Eds.), Computer Supported Collaborative Learning Series: Vol. 15 (pp. 659-682). New York: Springer.
Rogoff, B. (1990). Apprenticeship in thinking: Cognitive development in social context. New York: Oxford University Press.
Rosé, C.P. & Lund, K. (2013).Methodological Pathways for Avoiding Pitfalls in Multivocality. In D. D. Suthers, K. Lund, C. P. Rosé, C. Teplovs & N. Law (Eds.), Productive Multivocality in the Analysis of Group Interactions. In C. Hoadley & N. Miyake (Series Eds.), Computer Supported Collaborative Learning Series: Vol. 15 (pp. 613-637). New York: Springer.
Suthers, D. D., Lund, K., Rosé, C. P., Teplovs, C. & Law, N. (Eds.). (2013). Productive Multivocality in the Analysis of Group Interactions. In C. Hoadley & N. Miyake (Series Eds.), Computer Supported Collaborative Learning Series: Vol. 15. New York: Springer.
Vygotsky, L. S. (1978). Mind in society: The development of higher psychological processes.Cambridge, MA: Harvard University Press.
Wagner, C. S., Roessner, J. D., Bobb, K., Klein, J. T., Boyack, K. W., Keyton, J., et al. (2011). Approaches to understanding and measuring interdisciplinary scientific research (IDR): a review of the literature. Journal of Informetrics, 5(1), 14–26.
Wenger, E. (1998). Communities of Practice: Learning, Meaning, and Identity. Cambridge, MA: Harvard University Press.