Quel(s) mandat(s) éducatif(s) pour les institutions publiques contemporaines ? Tensions, recompositions et horizons d'émancipation
Denis Laforgue. Quel(s) mandat(s) éducatif(s) pour les institutions publiques contemporaines ?
Tensions, recompositions et horizons d'émancipation
En écho à l'argumentaire de cet atelier consacré à l'exploration d'espaces éducatifs hybrides, je propose de revenir sur un constat qui s'est dessiné au fil d'enquêtes de terrain que j'ai menées dans divers domaines de l'action publique : en l'occurrence le caractère transversal, protéiforme et évolutif du mandat éducatif dans des institutions publiques variées. En effet, qu'il s'agisse de l'école (maternelle), de la protection de l'enfance, mais aussi d'organismes d'aide auprès de personnes âgées fragiles ou encore des structures publiques œuvrant en faveur de l’écocitoyenneté, toutes ces institutions consacrent une partie de leurs activités à « éduquer » les populations qui constituent leur « public-cible ». Je voudrais alors problématiser ce simple constat autour de trois perspectives.
Tout d'abord, une perspective épistémique : comment appréhender (décrire, interpréter) ce mandat éducatif dans ses manifestations variées et contingentes d'une institution à l'autre ? Autrement dit, comment échapper à une vision dualiste, binaire ou même idéal-typique des processus éducatifs à l’œuvre ? A partir d'études de cas issues de différentes institutions publiques, j'essaierai de montrer l'intérêt qu'il peut y avoir à mobiliser un langage de description s'organisant autour de l'idée wébérienne de tensions, qui seraient constitutives des différents mandats des institutions publiques ayant une dimension éducative.
Ensuite une perspective social-historique : comment sur la question « axiologiquement chargée » du devenir d'institutions éducatives peut-on, au moins en partie, échapper aux « grands récits » monolithiques, certes confortables, mais qui assèchent le monde social ? En l'occurrence, il peut s'agir aussi bien d'un récit tragique (le supposé déclin inéluctable des institutions éducatives), que d'un récit ironique (en dépit des apparences, l'éducation déployée par les institutions continuerait à rimer avec domination) ou même d'un récit romanesque ou épique (« de courageux innovateurs seraient en train d'inventer et de diffuser difficilement l'éducation de demain, gage d'émancipation pour tous dans et par des institutions régénérées ! »). Par contraste, la comparaison du mouvement historique propre de différentes institutions publiques peut peut-être permettre (sans certitudes!) d'épaissir le « présent éducatif » de ces institutions et de pluraliser les narrations de leur « à-venir éducatifs ».
Enfin, une perspective éthique : la nature même du phénomène éducatif pose, me semble-t-il, avec une acuité particulière la question de ce que le chercheur, dans et par son enquête, fait à son objet d'étude (et inversement!), et ce plus particulièrement autour d'un enjeu d'émancipation (de l'éducateur, de l'éduqué, mais aussi de l'observateur). Je défendrai l'idée selon laquelle l'horizon d'une recherche sur des institutions éducatives n'est peut-être pas (toujours ? Uniquement?) de libérer les acteurs en mettant à leur disposition des savoirs (plus ou moins) académiques ou savants ayant l'ambition de dévoiler les cadres normatifs qui s'imposent à eux dans et par les relations éducatives dont ils participent. Il peut aussi s'agir d'associer les acteurs de la relation éducative à l'enquête en train de se faire, de façon à ce que, petit à petit et de façon toujours incertaine (risque d'échec) ces acteurs fassent de ces relations institutionnelles des situations problématiques ouvrant alors sur d'autres possibles, d'autres façons d'instituer une relation éducative dans telle ou telle institution. C'est alors aussi à la question des formes, tensions et devenirs du mandat éducatif de l'institution scientifique, dans laquelle il est lui-même encastré, que le chercheur se confronte !