Étude sur les Contextes de Rétraction et les Inégalités Territoriales en Éducation (Projet 2017)
Le Ministère de l’Education nationale (MEN) est le premier employeur de l’Etat et son premier poste de dépense (après le remboursement de la dette publique). Il s’incarne dans des milliers d’établissements, accueillant élèves et étudiants (ses usagers), de la maternelle à l’université. En cela, l’éducation (en particulier publique) constitue à la fois un maillon évident du tissu socio-économique en France ainsi qu’un des plus évidents révélateurs des dynamiques qui traversent le pays. Elle forme ainsi un secteur dont les mutations préoccupent une très large partie de la population. En conséquence, des sujets aussi brûlants que la mise en place de l’éducation prioritaire, la création d’une carte scolaire, la recherche d’une égalité d’accès aux études supérieures ou la fermeture d’établissements sont en prise directe avec des dynamiques d’ordre territoriales. L’objectif du projet est d’aborder la question des inégalités régionales et donc de porter la focale sur un territoire plus large, incluant largement les espaces ruraux. La mise en évidence d’écarts territoriaux peut en premier lieu être abordée à partir d’un questionnement sur l’offre en établissements scolaires sur le territoire national, qui en France, reste le cadre de décision politique le plus influent, en particulier dans le domaine de l’éducation.
Le projet de recherche ECRITE prend le parti que les inégalités territoriales constituent une dimension essentielle de nombreuses études transversales dans le domaine de l’éducation. Les logiques territoriales inhérentes aux politiques publiques de l’éducation sont encore peu abordées en tant que tel. Les relations entre inégalités sociales et éducation constituent un champ d’études ancien (par ex. Durkheim, 1922 ; Bourdieu et Passeron, 1964 ; Bourdieu, 1989) et constamment renouvelé en sciences sociales. De même, l’histoire de l’éducation rassemble de très nombreux travaux ainsi que des synthèses régulières (par ex. Prost, 1968 ; Chapoulie, 2010 ; Knittel & Castets-Fontaine, 2015). En lien avec les deux précédents champs, l’analyse des politiques éducatives et leur portée, lie action publique et constat empirique des difficultés du secteur (Van Zanten (dir.), 2000 ; Van Zanten 2004) mais peu souvent intervient la dimension proprement territoriale (Ben Ayed in Van Zanten 2008). L’inscription spatiale des dynamiques éducatives a bien sûr fait l’objet d’études, dont les approches allient géographie de l’éducation et préoccupation pour les inégalités sociales. C’est particulièrement visible en France où la scolarisation et l’accès plus généralement à des services publics de base sont considérés comme des ferments de cohésion sociale et intégrés dans un idéal républicain. En effet, l’étude de la territorialisation des politiques publiques renvoie en général au constat des failles d’une éducation perçue souvent en France comme devant être homogène et dominée par un secteur public désireux de pallier les inégalités. Cette perspective explique que la littérature scientifique sur la géographie de l’éducation soit structurée en deux grands champs, associant chacun un niveau d’éducation, un type d’espace et une thématique particulière.
L’enseignement secondaire, envisagé à l’échelle locale – souvent intra-urbaine – des grandes agglomérations, a ainsi focalisé l’attention des géographes intéressés par les questions de ségrégation, de marginalisation, de gentrification et les mécanismes d’évitement scolaire (François, 2004 ; François et Poupeau, 2008 ; Giband et Lacquement (dir.), 2008 ; Audren, 2012). L’enseignement primaire a, quant à lui, été davantage envisagé comme un objet d’étude croisant éducation et aménagement du territoire au sein d’espaces le plus souvent ruraux : traités à des échelles plus diversifiées mais le plus souvent infrarégionales ou infra-départementales, il est le support de questionnements sur l’équité territoriale, la justice spatiale ou le développement rural (Jean, 2007 ; Jebeili & Taulelle, 2012).
Le projet vise à se concentrer sur les contextes territoriaux les plus récents, empreints par une crise profonde des finances publiques et une tendance à un accroissement des inégalités. Dans ce contexte, les espaces ruraux en particulier ainsi que les petites et moyennes villes semblent de plus en plus en proie à des phénomènes de marginalisation ou de « périphérisation » (Kühn, 2015) car ils combinent, pour nombre d’entre eux, les effets conjugués du vieillissement de la population, la désindustrialisation et la perte de services publics, ce qui s’accompagne souvent de phénomènes de rétraction démographique. Le problème épineux de l’adaptation du maillage des établissements scolaires à des contextes de basse densité et/ou de rétraction démographique, sera notamment abordé. Il cherche également à mettre en perspective ces phénomènes de rétraction avec l’expansion des établissements scolaires au moment du développement de la scolarisation et de l’accès aux études secondaires pour un nombre toujours plus grand d’élèves. L’approche historique a pour ambition de voir si dans le long terme, on observerait plutôt des constantes dans les logiques entre acteurs ou dans les conceptions du territoire où si la situation actuelle de concentration des moyens présenterait des traits et des rythmes propres.
Contact: Antoine Laporte
Bibliographie indicative
Géographie scolaire, scolarisation et ségrégation sociospatiale
- Alpe, Y. (2012), « Contexte territorial et organisation scolaire. L'école rurale française, de l'idéalisation à la stigmatisation », in
- Schweizerische Zeitschrift für Bildungswissenschaften 34, 2, pp. 213-231
- Audren G., 2012, « Dynamiques scolaires et recompositions socioterritoriales à Marseille. L’exemple des collèges de Château-Gombert (13e arrondissement) », Rives Méditerranéennes, 42, p. 135-155.
- Bourdieu P. & Passeron J.-C., 1964, Les Héritiers, les étudiants et la culture, Editions de Minuit
- Brakat B., 2015, « A“Recipe for Depopulation”? School Closures and Local Population Decline in Saxony », Population, space and place, 21.
- Caro P., Faivre E., Grosjean F., 2006, « La territorialisation des politiques scolaires : l'exemple des collèges du bassin de Gap. »,
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- DEPP, 2014, Géographie de l’Ecole, MEN
- Durkheim, E., 1922, Education et sociologie, PUF
- François J.-C., 2004, « Évitement à l’entrée en sixième et division sociale de l’espace scolaire à Paris », L’Espace Géographique, 31, 4, p. 307-327.
- François J.-C. & Poupeau F., 2008, « Les déterminants sociospatiaux du placement scolaire. Essai de modélisation statistique appliquée aux collèges parisiens », Revue française de sociologie, 49, 1, p. 93-126.
- Giband D. et Lacquement G., 2007, La ville et ses marges scolaires, Presses Universitaires de Perpignan
- Guy, F., 2015, La mobilité des adolescents en situation de placement (Rhône): l'espace, enjeu d'une action sociale et action sociale, Thèse de doctorat, ENS de Lyon
- Jean Y., 1995, « École et aménagement du territoire rural : quel avenir pour les petites structures scolaires et les communes rurales ? », Annales de Géographie, t. 104, n°583, p. 236-255.
- Jean Y. (dir.), 2007, Géographies de l’école rurale. Acteurs, réseaux, territoires, Ophrys
- Jebeili C., Taulelle F., 2012, « L’école rurale, entre regroupements et réseaux », in Taulelle (coord.), Le délaissement du territoire. Quelles adaptations des services publics dans les territoires ruraux ?, Sciences de la société, nº86, p. 70-85. http://sds.revues.org/1700
- Jouen S., 2015, La classe multiâge d’hier à aujourd’hui : archaïsme ou école de demain ?, ESF
- Kucerova S. & Kucera Z., 2012, « Changes in the Spatial Distribution of Elementary Schools and Their Impact on Rural Communities in Czechia in the Second half of the 20th Century », Journal of Research in Rural Education, 27, 11
- Lacouture M., 2000, Réseau scolaire et moyenne montagne. Les écoles des hautes terres du Puy-de-Dôme, Presses Universitaires Blaise Pascal
- Moracchini C., 1992, Système éducatif et espaces fragiles. Les collèges dans les montagnes d’Auvergne, CERAMAC
- Van Zanten, A., 2008, Dictionnaire de l’éducation, Paris, Presses Universitaires de France.
- Van Zanten, A., 2004, Les politiques d’éducation, Paris, Presses Universitaires de France, 128 p.
- Van Zanten, A. (ed.), 2000, L’Ecole. L’Etat des savoirs, Paris, La Découverte & Syros, 420 p.
Processus et logiques de rétraction
- Baron M., et alii, 2010, Villes et régions européennes en décroissance. Maintenir la cohésion territoriale, Hermès science.
- Baudet-Michel, S., 2015, « Explorer la rétraction dans l’espace : les services de soins dans le système urbain français », Espace
- Géographique, 44, 4
- Cahu E., 2015, « De la réforme de la carte judiciaire ou l’instrumentalisation de critères objectifs au service d’un nouveau rapport scalaire de pouvoir », Annales de Géographie, 2015, vol. 701, p. 5-30.
- Kühn M., Bernt M., 2013, « Peripheralization and Power », in Fischer-Tahir A., Naumann M. (eds.), Peripheralization: The Making of
- Spatial Dependencies and Social Injustice, Wiesbaden, Springer, 302-316
- Roth H., 2011, « Les “villes rétrécissantes” en Allemagne », Géocarrefour, 86, 2, p. 75-80.
- Wolff M. et alii, 2013, « Shrinking Cities, villes en décroissance : une mesure du phénomène en France », Cybergéo, p. 26.
- Histoire de l’éducation et des établissements scolaires en France
- Chapulie, J.-M. (2010), L’Ecole d’Etat conquiert la France ; Deux sièclesde politiques scolaires, PUR
- Huitric, S. (2016), Transformer les collèges communaux en lycées. La coproduction d’une action publique (1830-1880), Thèse de doctorat à
- soutenir le 25 nov. 2016, ENS de Lyon
- Knittel F. et Castets-Fontainre B., 2015, Le système scolaire en France du XIXe siècle à nos jours, Ellipses
- Prost, A. (2004), Histoire de l’enseignement et de l’éducation, Paris, Perrin
- Savoie P., 2013, La construction de l’enseignement secondaire (1802-1914) aux origines d’un service public, ENS éditions