Les diplômé.es de l’enseignement professionnel : quelles réussites ? (Projet 2016)
Centre Max Weber: Estelle Bonnet (sociologue) et Karine Pietropaoli (ingénieure d’étude quantitativiste) - associées à Elise Verley (sociologue) Université Paris 4 Sorbonne – Laboratoire Gemass.
Larhra : Marianne Thivend (historienne) et Gérard Bodé (chargé d’études historien), associé.es à Stéphane Lembré (historien) (CREHS Université d’Artois)
Les diplômé.es de l’enseignement professionnel : quelles réussites ? Analyse des parcours scolaires, du rapport au travail et de l’insertion dans le métier
Rappel de notre objet de recherche :
La présente réponse à appel à projet 2018 fait suite à un premier projet de recherche déposé en 2017 auprès du LLE et qui a obtenu un financement de 4000 euros.
Notre étude a interrogé les parcours de réussite et d’insertion des diplômé.es de la voie professionnelle (CAP, BEP, Bac Pro). Un certain nombre d’analyses mettent en effet l’accent sur les formes de relégations scolaires de ces jeunes, sur leurs difficultés particulières à accéder au marché du travail et sur la moindre qualité des emplois qu’ils occupent. Face à ces constats, comment penser les parcours de réussite et d’insertion des diplômé.es de la voie professionnelle ? Les difficultés d’insertion et d’accès au marché du travail sont-elles de mise pour l’ensemble des filières de formation professionnelle courte ou peut-on discerner au sein de ces parcours des logiques d’insertion positives ?
Ce projet d’étude procède d’une double entrée disciplinaire :
-
il s’agit d’historiciser la notion de réussite scolaire et professionnelle en prenant appui sur l’enseignement professionnel en profonde mutation des années 1950 à nos jours ;
- Il s’agit également de rendre compte, d’un point de vue sociologique, de parcours plus ou moins avérés de « réussite » de jeunes diplômé.es selon différents secteurs d’emplois et d’activités, et spécialités de formations. L’enquête appréhende le rapport au travail des jeunes professionnel.les inséré.es dans l’emploi.
Rappel des interrogations de recherche
Les facteurs de réussite et d’insertion dans la voie professionnelle (CAP, BEP et Bac Pro) sont étudiés selon différents modes et lieux de formation : formation scolarisée ou par apprentissage, secteurs publics ou privés. Il s’agit de discerner de possibles parcours de réussite au sein d’une même spécialité ou de diverses spécialités de formations.
Qui sont les diplômé.es de CAP/BEP, de bac pro industriel ou tertiaire en emploi après leur sortie de formation ? Qui sont celles et ceux qui sont parvenu.es à accéder à l’emploi stable ? Qui sont les individus accédant à une rémunération mensuelle nette supérieure à la médiane ? Encore plus spécifiquement, qui sont les sortant.es n’ayant jamais connu de période de chômage depuis leur sortie de formation ou ayant accédé durablement et immédiatement à l’emploi ? Comment rendent- ils/elles comptent de leur expérience d’insertion et de vie au travail ? Leur insertion « réussie » est- elle liée à leur inscription dans des filières ou spécialités plus « nobles » que d’autres (par exemple certains métiers aux savoirs faire très prisés tels ceux associés à l’industrie du luxe ou de l’artisanat d’art) ? Ces jeunes partagent-ils des expériences scolaires (parcours de formations) ou des caractéristiques sociales particulières ? La définition de ce que l’on entend par parcours d’insertion « réussis » amène à distinguer ce qui relève de données objectives ou de données plus subjectives d’appréciation. Par données objectives on se réfère à la qualité de l’emploi occupé, au temps de travail et au type de contrat qui lie le salarié à l’employeur (contrat à durée déterminée ou indéterminée), à la santé et la sécurité au travail (conditions de travail), au niveau de rémunération, à l’accès à des formations, aux progressions possibles dans la carrière (telles que l’évolution verticale dans l’emploi, l’amélioration de revenu et de statut).
Les données plus subjectives renvoient quant à elle aux opinions sur la situation de travail et d’emploi, à l’adéquation ressentie entre emploi occupé et niveaux de compétences ou d’études, aux éléments participant d’une forme d’épanouissement professionnel, ou encore à l’appréciation positive ou négative du salaire en fonction de la situation d’emploi et des conditions de travail. L’appréciation de la réussite scolaire peut par ailleurs varier selon que l’on se situe du point de vue de l’institution scolaire ou du point de vue des individus scolarisés, très directement concernés par l’insertion dans l’emploi.
Le travail sociologique autour des parcours de réussite dans la voie professionnelle s’effectue en collaboration avec le travail d’historien.nes (équipe du Larhra et collaboration avec l’Université d’Artois). L’appréciation de la « réussite » d’un point de vue historique est examinée depuis les années 50 à nos jours, à partir des discours construits et véhiculés dans les établissements de formation professionnelle et plus largement les acteurs locaux de la formation sur les possibilités de réussite scolaire, de promotion sociale et professionnelle, offerte par leurs études et leurs diplômes. Il s’agit aussi (poursuite 2018) d’apprécier la manière dont les rapports au travail et à l’emploi ainsi que les qualités ou valeurs liées au travail et à l’emploi sont valorisées à travers le temps à partir de différents types de discours : médiatique (analyse de films et documentaires), éducatif (discours institutionnels) et professionnel (groupes professionnels à partir d’un travail d’archives).
L’analyse sociologique sur les «parcours de réussite dans la voie professionnelle» s’est appuyée sur le recueil de données quantitatives à partir de l’exploitation de données du Cereq, et de données qualitatives sur la base d’observations et d’entretiens auprès de jeunes sortant.es de la voie professionnelle.
Analyses quantitatives réalisées
- Base Cereq – Analyse des parcours de réussite chez les jeunes diplômé.es de la voie professionnelle (enquêtes Générations 2010 – données 2013).
Cette analyse est centrée sur les parcours scolaires et d’entrée dans la vie active des jeunes, ainsi que sur leurs rapports au travail (dimensions de satisfactions ou d’insatisfactions par rapport à l’activité exercée) et à l’emploi (et notamment situations de stabilité ou d’instabilité professionnelle).
Différentes situations d’insertion dans l’emploi sont analysées en fonction de ce double rapport au travail et à l’emploi, Reprenant les entrées analytiques proposées par Paugam (2000) [1], nous pouvons décrire différentes catégories de parcours qui s’organisent autour de modèles plus ou moins fortement présents dans chacune d’elles :
- modèle de l’homo faber pour les jeunes « en réussite » dont les parcours se caractérisent par une double rapport positif au travail et à l’emploi, couplant ainsi une relative satisfaction des jeunes en emploi par rapport à l’activité exercée (salaire, conditions de travail, perspective d’avenir et d’évolution de carrière, relations professionnelles, plaisir au travail), et par rapport à une situation de stabilité et de sécurité dans l’emploi. Ces parcours sont par ailleurs marqués par une identité de métier qui tend à s’affirmer.
- modèle de l’homo oeconomicus chez ceux que nous avons nommé les « sécures » où domine un rapport instrumental au travail en lien aux avantages économiques qui lui sont associés et une moindre satisfaction par rapport au travail réalisé ;
- modèle de l’homo sociologicus pour les « engagé.es » qui entretiennent un rapport positif au travail sur la base du rapport social qu’il induit en lien à la qualité des relations établies dans le cadre de l’activité, mais un rapport négatif à l’emploi marqué par l’instabilité ;
- enfin modèle négatif de l’ensemble de ces points de vue pour les « déqualifié.es » qui n’attribuent ni valeurs intrinsèque, instrumentale ou relationnelle au travail, vivant l’expérience de la disqualification, sans possibilité (3 ans après leur sortie de formation) de valoriser le diplôme professionnel sur le marché du travail.
Comme notre analyse le montre par ailleurs, l’entrée sur le marché de l’emploi et l’appréciation plus ou moins positive réservée à cette entrée, doivent être examinées au regard des qualifications et des spécialités de formation, mais aussi du genre. Ainsi, si l’analyse des parcours d’insertion des diplômé.es de l’enseignement professionnel conforte les études existantes montrant une plus forte précarisation sur le marché du travail et de l’emploi des voies professionnelles, elle laisse également entrevoir la nécessité de déshomogénéiser ces parcours en rendant compte de leur pluralité. Les jeunes sortant du système scolaire et de la voie professionnelle ne connaissent pas tou.te.s la même insertion sur le marché du travail et n’ont pas tou.te.s le même rapport au travail et à l’emploi. Les distinctions opérées entre les différents parcours d’insertion et leur appréciation se construisent par touches successives sans que des étapes particulières dans ces parcours soient discriminatoires de manière nette.
Cette analyse a donné lieu à la production d’un article soumis à la revue Formation Emploi pour une publication en 2018.
- Base Cereq sur 18 ans - Analyse comparative du rapport au travail des jeunes issu.es de la voie professionnelle et de la voie générale.
Cette analyse comparative interroge la façon dont les jeunes issu.es de la voie professionnelle ou de la voie générale ont intériorisé l’évolution de leurs conditions d’insertion et des normes d’emploi. Pour ce faire, nous avons analysé les représentations et jugements portés par les jeunes de deux cohortes, à 18 ans d’intervalle, sur leur parcours, leur emploi, leur avenir professionnel (cohortes de jeunes entré.es sur le marché du travail en 1992 et en 2010). Notre approche a intégré à la fois des dimensions objectives de « qualité » d’emploi (conditions de travail, rémunérations, degré de précarité du contrat de travail, perspectives d’évolution...) et des données plus subjectives d’appréciation de la situation de travail.
Les résultats de notre analyse montrent que les transformations à l’œuvre sur le marché du travail sur 20 ans conduisent à un déplacement des valeurs et représentations du travail des jeunes dans ses dimensions instrumentales, sociales et symboliques. Si notre analyse laisse apparaître une relative « dégradation » des conditions d’emploi à l’échelle d’une génération, elle aboutit dans le même temps au constat paradoxal d’une amélioration des perceptions du parcours, de la situation actuelle et des perspectives d’avenir. L’évolution des jugements sur l’emploi et le travail est relativement indépendante des opportunités réelles d’emploi. Pour autant ces perspectives varient selon le genre et selon le niveau de formation.
Alors que les conditions d’emploi se sont dégradées au cours du temps avec une augmentation de l’emploi « instable » des débutant.es sur le marché du travail (croissance des emplois à durée limitée), l’appréciation de la situation de travail, des parcours d’insertion et des perspectives d’avenir n’apparaît pas marquée par la moindre qualité de ces conditions d’insertion et d’emploi. Les jeunes de la génération 2010 se montrent, 5 ans après leur sortie de formation, globalement plus optimistes que ceux de la génération 1992, et cet optimisme croit d’autant plus que l’on est une fille ou que l’on est assez faiblement diplômé.e (secondaire en particulier). Ce sont en effet chez celles et ceux (les garçons, les diplômé.es du supérieur) qui accèdent le plus facilement à l’emploi, qui sont les moins touché.es par le chômage, qui sont les plus nombreux/ses à accéder à des CDI, aux emplois les plus valorisés et aux niveaux de rémunération les plus hauts, que l’évolution (entre générations) des taux de satisfaction à l’égard du travail est moindre.
Parallèlement et du point de vue du genre, les constats sont ceux d’une intériorisation par les filles des inégalités sexuées à l’œuvre sur le marché du travail mais aussi d’un rattrapage de leurs positions et aspirations professionnelles sur celles des garçons. Ces conditions différenciées et leur intériorisation, selon le niveau de diplôme et selon le genre, sont alors susceptibles de contribuer à une appréciation et une anticipation plus positive des incertitudes et des événements relatifs à la vie professionnelle.
Cette analyse a donné lieu à la production d’un chapitre d’ouvrage à paraître sur les 20 ans du Cereq. Parution prévue en décembre 2017.
- Mise en ligne en septembre 2017 d’un questionnaire auprès des jeunes issu.es de la voie professionnelle et ayant obtenu une médaille d’or au concours des Meilleurs Apprentis de France
Le concours MAF organisé par la Société nationale des Meilleurs Ouvriers de France récompense des jeunes âgés de moins de 21 ans, en formation initiale (CAP, BEP et Bac Pro) provenant d’établissements publics ou privés, sous statut scolaire ou sous contrat d’apprentissage. Il recense plus de 6000 candidats qui s’inscrivent chaque année dans plus de 90 métiers.
Le questionnaire vise une population de plus de 900 lauréats (années 2011 à 2014) ayant obtenu une médaille d’or au niveau national. Il doit permettre d’appréhender les parcours scolaires et professionnels de ces jeunes MAF, leurs jugements sur leurs formations et sur leur insertion dans l’emploi (situation dans l’emploi et caractéristiques des emplois occupés, conditions de travail). Outre le recueil de données sur les profils sociologiques des lauréat.es et leur insertion professionnelle à l’issue du concours, il a aussi pour finalité l’accès à une population d’enquête afin de conduire des entretiens plus approfondis sur le rapport à l’emploi et au travail de ces jeunes.
Analyses qualitatives réalisées
- Observations du concours régional Rhône Alpes Auvergne et du concours national des Meilleur.es Apprenti.es de France.
Observations réalisées lors de 3 concoursrégionaux en Esthétique, Ebénisterie et Sculpture Ornemaniste, et Service à table. Ces observations ont eu lieu sur Lyon en mai et juin 2017. Observations nationales sur Paris du concours MAF en esthétique et service à table. Concourent ici les jeunes ayant obtenu une médaille d’or au niveau régional. Il s’agit donc pour nous de suivre les jeunes rencontrés au niveau régional à ce niveau national.
Ces observations permettent la rencontre à la fois des jeunes postulant.es et des membres des jurys participant à ce concours et la mise au jour des critères de jugements au sein des métiers étudiés. Il s’agit également de repérer des éléments relatifs au rapport au travail de ces jeunes.
- Prises de contacts et entretiens réalisés
Les entretiens s’inscrivent initialement dans certaines filières de formation à dominante féminine, masculine et mixte. L’entrée sur le terrain et l’accès aux populations d’étude nous a toutefois amené à tordre parfois ces objectifs initiaux... Ils s’adressent à des jeunes issu.es d’établissements de la voie professionnelle et à des jeunes ayant passé le concours des Meilleurs Apprentis de France.
a) Réalisation d’entretiens après de jeunes diplômé.es de la voie professionnelle et inséré.es dans l’emploi : actuellement 16 entretiens réalisés auprès de jeunes sortant.es en bijouterie, ébénisterie, communication graphique, commerce (en fonction des possibilités d’accès sur le terrain). Etablissement SEPR à Lyon. 2 entretiens en cours.
- Prise de contacts auprès du Lycée La Mache sur Lyon pour sa filière bois – rencontre effectuée auprès d’un ancien proviseur adjoint. Contacts pris avec d’anciens élèves du lycée. 1 entretien réalisé en menuiserie. Relances en cours.
- Prise de contacts réalisée avec le Lycée La Martinière Diderot pour sa filière textile – Rencontre en cours des proviseurs et proviseur adjoint de la voie professionnelle.
b) Prise de contacts et rencontre du comité directeur de la Société Nationale des Meilleurs Ouvriers de France (SnMOF) en janvier 2017. La SnMOF est au centre de l’organisation du concours des Meilleurs Apprentis de France.
- Entretiens réalisés auprès de jeunes diplômé.es de CAP ayant participé aux concours de Meilleurs apprenti.es de France. 2 entretiens réalisés pour le moment et contacts en cours suite aux observations réalisées en mai et juin.
- Réalisation d’entretiens auprès des membres du jury de ce concours, professionnels et enseignants. Actuellement 6 entretiens réalisés : 3 enseignant.es (lycées professionnels) et 3 professionnels (compagnon et Meilleurs Ouvriers de France - Mof)
La retranscription des entretiens tout comme l’analyse de ces différents matériaux est en cours d’étude.
Poursuite d’étude envisagée
- La poursuite du versant sociologique de l’étude a pour objectif d’asseoir la comparaison entre jeunes diplômé.es de la voie professionnelle inséré.es dans l’emploi et jeunes ayant passé le concours des Meilleurs Apprentis de France (inséré.es dans l’emploi ou en cours de Formation). Cette comparaison porte sur les profils sociologiques de ces différentes populations d’enquête, les parcours de formations, leurs investissements dans la formation et les métiers visés, les influences familiales ou d’entourage qui ont pu marquer ces parcours (famille, entourage, rencontre de personnes particulières qui ont pu impulser une orientation dans telle ou telle filière de formation). Il s’agit aussi de comparer le rapport au travail et à l’emploi de ces jeunes par le biais d’entretiens approfondis.
La poursuite de l’étude auprès des jeunes apprentis passe également par des entretiens réalisés auprès des formateurs, maîtres de stages, meilleurs ouvriers de France, afin de comprendre la manière dont s’effectue la transmission du métier. Cette transmission peut prendre différentes orientations : il peut s’agir d’expériences de travail, de valeurs liées à l’activité, de gestes ou encore d’une conception particulière du métier insufflée auprès des jeunes en formation. L’accès à cette population d’enquête doit nous permettre de mieux appréhender le rapport au travail des jeunes.
Pour rappel entretiens déjà réalisés de jeunes issu.es de lycée prof. : 17 et 3 planifiés
Nombre d’entretiens envisagés avec les jeunes MAF : 20
Nombre d’entretiens envisagés avec formateurs et maîtres de stage : 15
[1] Paugam Serge, 2000, Le salarié de la précarité, Paris, Puf.