Les espaces éducatifs hybrides
Participants
Julien Barrier (Triangle, ENS de Lyon/IFé, Sociologie), Patricia Lambert (ICAR, ENS de Lyon/IFé, Sciences du langage), Daniel Frandji (Triangle, ENS de Lyon/IFé, Sociologie), Laurent Veillard (ICAR, Université Lyon 2, Didactique professionnelle)
Le paysage de la recherche en éducation en France recèle encore de nombreux territoires mal explorés. La plupart des travaux existants sont focalisés sur ce qui se joue à l’école, principalement dans l’enseignement général, aux niveaux primaire ou secondaire. Comparativement, d’autres domaines ou niveaux comme l’enseignement professionnel ou technologique, les filières supérieures, apparaissent beaucoup moins documentés. De même, les recherches sur les situations ou pratiques éducatives dites informelles ou tacites dans différents types d’espaces sociaux (familles, associations, quartiers, lieux de travail, etc.) restent assez marginales. Cette focalisation sur ce qui se joue dans les espaces scolaires d’enseignement général conduit souvent à distinguer et opposer deux espaces : ceux (les véritables) consacrés à l’acquisition d’une culture savante et disciplinaire, principalement par le biais de pratiques littéraciées, distanciées et réflexives, privilégiant la conceptualisation et l’explication des pratiques humaines, des œuvres et des phénomènes naturels (Bourdieu, 1980; Lahire, Thin, & Vincent, 1994; Lahire, 2008; Pastré, 2008) ; et ceux qui développent des apprentissages par corps, segmentés, contextualisés etc.
Pourtant, d’autres recherches, certes encore peu nombreuses mais qui se documentent de plus en plus sur le plan empirique, mettent en évidence des pratiques éducatives et des situations d’apprentissage beaucoup plus variées, hétérogènes et complexes, au sein d’institutions éducatives ou en dehors, traversées par un rapport plus dialectique, conflictuel et complexe entre différents types de savoirs, de normes sociales, de pratiques langagières ou de modes de transmission et de socialisation (Bernstein, 2007, Bonnéry, 2009; de Saint-Georges, 2008; Filliettaz, 2009; Lantheaume, Bressette-Holland, & Coste, 2008; Lambert, 2014; Lembré, 2016; Pelpel & Troger, 1993; Veillard, 2015). Ces enjeux sont, par exemple, particulièrement saillants au moment où les institutions d’enseignement, secondaire et supérieur sont faces à des injonctions à la « professionnalisation » des cursus. L’accent est beaucoup mis sur l’acquisition de « compétences » et cette évolution redessine les modes de production, d’organisation et de transmission des savoirs (Stavrou, 2008 ; Stavrou, 2011 ; Young et Muller, 2014).
L’atelier exploratoire proposé se donne pour objectif d’étudier ce type d’espaces éducatifs ou formatifs qualifiés, à titre d’hypothèse, d’« hybrides » en convoquant des chercheurs de différentes disciplines, en particulier en histoire, sociologie, sciences du langage, didactique et psychologie culturelle. Il s’agira tout d’abord de se questionner en amont de ces espaces, sur les débats, les luttes, les évènements, les effets structurels, les types de discours, les pratiques sociales et langagières qui ont contribué à leur donner naissance et continuent à les faire évoluer. L’objectif sera également d’étudier les caractéristiques concrètes de ces espaces et leurs effets sur les acteurs qui les fréquentent, en particulier les jeunes qui constituent leur cible prioritaire d’action. Quels sont leurs effets cognitifs et sociaux ? Leur dimension hybride (au sens d’une pluralité de logiques d’action ou de savoirs en jeu) constitue-t-elle une réponse plus adaptée à la complexité des milieux professionnels et des trajectoires des individus ? A l’inverse, ne contribue-t-elle pas à brouiller les repères pour certains jeunes, en particulier de milieux populaires moins dotés sur le plan scolaire, tout en contribuant à différencier les capacités et possibilités de penser et d’agir sur le monde ? A partir de l’examen de différents travaux issus de plusieurs disciplines, l’atelier essaiera de dégager la pertinence et le caractère plus ou moins opératoire de quelques concepts permettant l’analyse de ces « hybridités ». Plus généralement, on peut se demander si l’hybridité n’est pas en fait une caractéristique générale de tout dispositif éducatif, même les plus apparemment « formels » et institutionnalisés : auquel cas, ce sont surtout les concepts et langages de description utilisés pour penser ces derniers qu’il s’agirait d’examiner de façon critique.
Programme prévisionnel
Date/heure |
Intervenants |
Thème |
Lieu |
Responsable |
13/12 - 10h/13h |
- Christian Maroy - Lucie Tanguy |
Esprit d'entreprise et esprit gestionnaire à l'école |
Salle F. 122 – Site Descartes |
Daniel Frandji |
16/02 - 10h-13h |
- Fabienne Maillard - Olivier Quéré |
Professionnaliser les enseignements: effets et ambiguïtés d'une injonction |
R143 - Site Descartes |
Julien Barrier |
9/03 - 9h-12h |
- Ingrid De Saint-Georges - Patricia Lambert |
Hybridité en langues et en discours |
F102 - Site Descartes |
Patricia Lambert |
13/04 - 9h |
- Gérard Bodé - Laurent Veillard et Claire Masson |
Les situations d’apprentissage pratique dans l'enseignement agricole |
F008 - Site Descartes |
Laurent Veillard |
17/05 - 14h |
- Denis Laforgue - Daniel Frandji |
Pluralité, hybridité, spécificité |
F008 - Site Descartes |
Daniel Frandji |
Bibliographie
- Agulhon, C., Convert, B., Gugenheim, F., & Jakubowski, S. (2012). La professionnalisation. Pour une université « utile » ? Paris: L’Harmattan.
- Bodé, G., & Marchand, P. (2001). Formation professionnelle et apprentissage (18ème - 20ème siècles). Hors Série (n°17) de La Revue Du Nord. Paris: INRP - Revue du Nord.
- Bonnéry, S. (2009). Scénarisation des dispositifs pédagogiques. Revue Française de Pédagogie, 167, 13–23.
- Bourdieu, P. (1980). Le sens pratique. Paris: Editions de Minuit.
- de Saint-Georges, I. (2008). La multimodalité et ses ressources pour l’enseignement-apprentissage. In L. Filliettaz, I. de Saint-Georges, & B. Duc (Eds.), Vos mains sont intelligentes. Interactions en formation professionnelle (Vol. 117, pp. 117–158). Genève: Cahier des la section suisse des sciences de l’éducation.
- Filliettaz, L. (2009). Les formes de didactisation des instruments de travail en formation professionnelle initiale : une approche comparatiste. Bulletin Suisse de Linguistique Appliquée, 3(1), 26–56.
- Lahire, B. (2008). La raison scolaire. Ecole et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir. Rennes: Presses Universitaires de Rennes.
- Lahire, B., Thin, D., & Vincent, G. (1994). Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire. In G. Vincent (Ed.), L’Education prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles (pp. 11–48). Lyon: Presses Universitaires de Lyon.
- Lambert, P. (2014). Sociolinguistique et éducation. Une approche ethnographique. Dossier d’habilitation à diriger des recherches. Université Stendhal-Grenoble 3.
- Lantheaume, F., Bressette-Holland, F., & Coste, S. (2008). Les enseignants de lycée professionnel face aux réformes. Tensions et ajustements dans le travail. Lyon: Inrp.
- Lembré, S. (2016). Histoire de l’enseignement technique. Paris: La découverte.
- Lipp, A., & Ria, L. (2012). La transmission des savoirs en formation professionnelle initiale : Analyse de l’activité d’enseignants en lycées agricoles. Activités, 9(2), 71–87. http://www.activites.org/v9n2/v9n2.pdf
- Muller, J., & Young, M. (2014). Disciplines, skills and the university”, Higher education, vol. 67, p. 127-140. Higher Education, 67, 127–140.
- Pastré, P. (2008). Apprentissage et activité. In Y. Lenoir & P. Pastré (Eds.), Didactique professionnelle et didactiques disciplinaires en débat (pp. 53–79). Toulouse: Octarès Editions.
- Pelpel, P., & Troger, V. (1993). Histoire de l’enseignement technique. Paris: Hachette.
- Stavrou, S. (2008). La recontextualisation à l’épreuve de la sociologie empirique des curricula : éléments de recherche sur la “régionalisation du savoir.” In D. Frandji & P. Vitale (Eds.), Actualités de Basile Bernstein (pp. 171–187). Rennes: Presses Universitaires de Rennes.
- Stavrou, S. (2011). La « professionnalisation » comme catégorie de réforme à l’université en France : de l’expertise aux effets curriculaires. Cahiers de La Recherche Sur L’éducation et Les Savoirs, 3, 93–109.
- Tralongo, S. (2012). Le projet professionnel de l’étudiant : histoire et champ de pertinence. In La professionnalisation de l’enseignement supérieur. De la volonté politique aux formes concrètes (pp. 107–117). Toulouse: Octares Editions.
- Veillard, L. (2015). De la division du travail de formation. Etude didactique de l’alternance en formation professionnelle initiale. Note de synthèse pour l'Habilitation à Diriger des Recherches. Université de Bourgogne.