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Les diplômé.es de l’enseignement professionnel : quelles réussites ? (Projet 2017)

Analyse des parcours scolaires, du rapport au travail et de l’insertion dans le métier des élèves issus de l'enseignement professionnel

 

 

Les diplômé.es de l’enseignement professionnel : quelles réussites ? Analyse des parcours scolaires, du rapport au travail et de l’insertion dans le métier

Projet pluridisciplinaire Sociologie et Histoire

Les enquêtes du Cereq ont largement étayé ce constat : le diplôme constitue un rempart contre le chômage, plus le niveau de diplôme augmente meilleures sont les perspectives d’insertion. Les moins diplômé.es s’inscrivent plus fréquemment dans des trajectoires aux marges de l’emploi (Céreq, 2014, p. 54)1, l’accès à l’emploi des sortant.es du secondaire, même diplômé.es, est problématique, et leurs difficultés sont exacerbées en période de conjoncture difficile (Barret, Ryk et Volle, 2014)2.

Les analyses mettent l’accent sur les formes de relégations scolaires de ces jeunes, sur leurs difficultés particulières à accéder au marché du travail et sur la moindre qualité des emplois qu’ils occupent. Face à ces constats, comment penser les parcours de réussite et d’insertion des diplômé.es de la voie professionnelle ? Les difficultés d’insertion et d’accès au marché du travail sont-elles de mise pour l’ensemble des filières de formation professionnelle courte ou peut-on discerner au sein de ces parcours des logiques d’insertion positives ?

L’objectif de ce projet d’étude procède d’une double entrée disciplinaire :

-  il s’agit d’historiciser la notion de réussite scolaire et professionnelle en prenant appui sur l’enseignement professionnel en profonde mutation des années 1950 à nos jours ;

-  il s’agit également de rendre compte, d’un point de vue sociologique, de parcours plus ou moins avérés de « réussite » de jeunes diplômé.es selon différents secteurs d’emplois et d’activités, et spécialités de formations. L’analyse de ces parcours de réussite doit permettre par ailleurs d’appréhender le rapport au travail des jeunes professionnel.les inséré.es dans l’emploi et de situer plus précisément les métiers dans lesquels ils/elles exercent.

1. Problématique

Notre approche vise à interroger les facteurs de réussite et d’insertion dans la voie professionnelle (CAP, BEP et Bac Pro) selon différents modes et lieux de formation : qu’il s’agisse de formation scolarisée ou par apprentissage, et que l’on se situe dans les secteurs publics ou privés. On fait ici l’hypothèse que, selon les métiers, il existerait ce que l’on peut appeler des niches professionnelles ou économiques localisées auxquelles sont susceptibles d’accéder certain.es diplômé.es de la voie professionnelle. Il s’agit alors de discerner de possibles parcours de réussite au sein d’une même

spécialité3. Les parcours sont en effet susceptibles de varier selon les territoires et bassins d’emplois, les entreprises recruteuses, mais aussi selon les caractéristiques des individus tant du point de vue des diplômes obtenus et expériences valorisées, que du point de vue du genre et des origines sociales.

1.1. Le souhait de déshomogénéiser les parcours

Si l’orientation dans les filières professionnelles a été étudiée, c’est avant tout pour dénoncer sa fonction de relégation scolaire et insister sur l’existence d’un segment dominé du système d’enseignement (Jellab, 2009) 4 . Accueillant majoritairement des élèves en difficulté d’apprentissage, peu attirés par les études et qui y sont « orientés », la fonction de tri social porté par cet ordre d’enseignement s’exerce d’abord et majoritairement vers les élèves issus des milieux populaires.

Pourtant au-delà de ces orientations «négatives», le mode de lecture de cet espace de l’enseignement peut être déshomogénéisé. Plutôt que de s’arrêter sur les manques ou les déficits scolaires de ces jeunes, il est possible de considérer la variété de leurs parcours scolaires, d’accès à l’emploi, et des rapports au travail et à l’activité des primo-entrants sur le marché du travail, afin d’éviter de concevoir l’enseignement professionnel comme « un bloc homogène » (Palheta, 2012)5. Ainsi, plusieurs formes de différenciation de l’expérience de ces jeunes sont à relever : plus le niveau de diplôme augmente (CAP/BEP/Bac Pro), plus la qualité de l’insertion augmente ; la spécialité de formation (même si l’on reste sur un clivage tertiaire/industriel) joue plus ou moins favorablement sur les trajectoires d’emploi. Plus généralement si l’insertion est dégradée pour une part importante d’entre eux et légitime toutes les inquiétudes, plutôt que remettre en cause le système et le niveau de diplôme dans sa globalité, on peut également chercher à comprendre les parcours de réussite, ou tout au moins les parcours de moindre vulnérabilité.

1.2. Mesurer la réussite dans les parcours d’insertion des jeunes en emploi

Qui sont les diplômé.es de CAP/BEP, de bac pro industriel ou tertiaire qui ne sont pas au chômage 3 ans après leur sortie de formation ? Qui sont celles et ceux qui sont parvenu.es à accéder à l’emploi stable ? Qui sont les individus accédant à une rémunération mensuelle nette supérieure à la médiane ? Encore plus spécifiquement, qui sont les sortant.es n’ayant jamais connu de période de chômage depuis leur sortie de formation ou ayant accédé durablement et immédiatement à l’emploi? Comment rendent-ils/elles comptent de leur expérience d’insertion et de vie au travail ? Leur insertion « réussie » est-elle liée à leur inscription dans des filières ou spécialités plus « nobles » que d’autres (par exemple certains métiers aux savoirs faire très prisés tels ceux associés à l’industrie du luxe ou de l’artisanat d’art) ? Ces jeunes partagent-ils des expériences scolaires (parcours de formations) ou des caractéristiques sociales particulières ?

Définir ce que l’on entend par parcours d’insertion « réussis » amène à distinguer ce qui relève de données objectives ou de données plus subjectives d’appréciation. Par données objectives on pourra notamment se référer à la qualité de l’emploi occupé, au temps de travail et au type de contrat qui lie le salarié à l’employeur (contrat à durée déterminée ou indéterminée), à la santé et la sécurité au travail (conditions de travail), au niveau de rémunération, à l’accès à des formations, aux progressions possibles dans la carrière (telles que l’évolution verticale dans l’emploi, l’amélioration de revenu et de statut).

Les données plus subjectives renvoient quant à elle aux opinions sur la situation de travail et d’emploi, à l’adéquation ressentie entre emploi occupé et niveaux de compétences ou d’études, aux éléments participant d’une forme d’épanouissement professionnel, ou encore à l’appréciation positive ou négative du salaire en fonction de la situation d’emploi et des conditions de travail. L’appréciation de la réussite scolaire peut par ailleurs varier selon que l’on se situe du point de vue de l’institution scolaire ou du point de vue des individus scolarisés, très directement concernés par l’insertion dans l’emploi.

Enfin, une autre clarification relative à l’intégration professionnelle doit être effectuée, établissant une distinction entre rapport au travail et rapport à l’emploi des jeunes diplômé.es. Le rapport au travail permet d’appréhender les dimensions de la satisfaction ou de l’insatisfaction des salariés par rapport à l’activité exercée. Le rapport à l’emploi permet lui de distinguer différentes situations de stabilité ou d’instabilité professionnelle des salariés (Paugam 2000)6.

1.2.Historiciser la réussite dans la voie professionnelle

Le travail sociologique autour des « parcours d’insertion réussis », et plus largement de la « réussite » en formation professionnelle peut gagner en profondeur en faisant appel aux contributions d’historien.nes.
De la sortie de guerre au début des années 1960, l’enseignement technique et professionnel est autonome, scolarisé, voire élitiste, et connaît un « âge d’or » fondé sur une confiance en ses diplômes (du bac technique au CAP) dans un contexte de plein emploi7. Pour les jeunes des classes populaires, l’enseignement professionnel représente alors une expérience inédite de prolongation de scolarité, où la culture technique est valorisée, même si les débouchés sont ceux des emplois d’exécution de l’industrie et du tertiaire. A partir de la réforme Berthoin de 1959, l’enseignement technique et professionnel voit sa place dans le système éducatif bouleversé et perd son autonomie, devenant progressivement filière de « relégation », qui accueille désormais les jeunes sur la base de « l’échec scolaire », rejetés de la voie générale dans les CET d’abord qui connaissent une très forte croissance, puis dans les LEP à partir de la loi Haby de 1975. Mais ainsi établie, cette histoire court le risque d’idéaliser un « avant », celui d’un enseignement professionnel porteur de promotion sociale et professionnelle, doté d’une culture technique émancipatrice, et un «après», où l’enseignement professionnel n’est plus conçu que comme un espace de domination et de relégation scolaire, où la « réussite » n’est pas envisageable. Nous aimerions alors revenir sur ces trois décennies de mutations, connues uniquement par le prisme des grandes évolutions structurelles et institutionnelles de l’enseignement professionnel, et adopter une approche plus centrée sur les acteurs de terrain, chef.fes d’établissements et équipes pédagogiques, collectivités locales et mondes de l’entreprise, ainsi que les élèves – apprenti.es eux-mêmes, ces dernier.es formant un véritable angle mort de la recherche historique8.

Ainsi, l’appréciation de la « réussite » peut être examinée à partir de deux points de vue :
- d’une part la réussite « affichée », « représentée » : pendant cette période, quels discours construisent et véhiculent les établissements de formation professionnelle eux-mêmes (chef.fes d’établissement, enseignant.es), et plus largement les acteurs locaux de la formation (Chambre de commerce et chambre des métiers notamment...) sur les possibilités de réussite scolaire, de promotion sociale et professionnelle, offerte par leurs études et leurs diplômes ?
- d’autre part, la réussite vécue : comment les jeunes eux-mêmes perçoivent-ils leurs parcours, scolaire et professionnel ? Selon quelles valeurs l’examinent-ils/elles ? : valeur d’échange sur le marché du travail (qui renvoie à leur insertion puis parcours professionnels) ; valeur sociale (engagement syndical par ex ) et valeur symbolique (rôle du diplôme dans la construction des identités)9.

2. Méthodologie

2.1. Analyse sociologique
Analyse quantitative, sur la base des données Céreq, des parcours de réussite chez les jeunes diplômé.es de la voie professionnelle (enquêtes Générations à 5, 7 et 10 ans comparées à la dernière enquête génération 2010 – données disponibles en 2013). L’analyse de la dernière enquête génération 2010 est en cours et a déjà donné lieu à quelques résultats10. La comparaison sur 5 et 10 ans doit permettre d’approfondir ces résultats.
L’analyse envisage également une comparaison entre jeunes issu.es de la voie professionnelle et jeunes issu.es de la voie générale et ayant poursuivi leurs études (à partir des mêmes critères d’appréciation relatifs à leur rapport au travail et à l’emploi) afin de dégager d’éventuelles spécificités propres à chaque parcours dans leur rapport au travail et à l’emploi et de leur insertion sur le marché du travail11.
Analyse qualitative sur la base d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de jeunes diplômé.es inséré.es sur le marché de l’emploi et repéré.es « en réussite » à partir de l’exploitation quantitative. L’analyse qualitative a pour objectif de saisir plus finement les parcours de vie des jeunes « en réussite », leur vécu quant à ce parcours, leur insertion sur le marché du travail, l’activité professionnelle occupée, leur rapport au travail et à l’emploi...
Le choix de la population d’étude est également commandé par : une comparaison entre femmes et hommes (les données actuellement recueillies laissent apparaître des parcours d’insertion fortement corrélés à l’appartenance sexuée12), l’origine sociale et l’origine ethnique des parents.
Une comparaison entre différentes filières de formation situées géographiquement sera privilégiée : filière de la confection (secteurs de Lyon et St-Etienne et celui de Roubaix Tourcoing - régions offrant également une proximité de terrains aux chercheur.es) ; filière de l’hôtellerie restauration (sur laquelle un travail a été amorcé13).

2.2. Approche historique
Pour échapper aux analyses trop univoques sur les usages de l’enseignement professionnel, pour mieux approcher l’établissement d’enseignement et sa réalité scolaire dans toute sa complexité, l’échelle locale s’impose14. Les lieux d’enseignement se distinguent selon leur statut (public / privé et ses différentes formes, catholiques, entrepreneuriales), leur ancrage local (établissements anciennement implantés ou plus récents), les filières proposées (industrielles, tertiaires – filières massifiées ou « niches » de formation) qui renvoient elles-mêmes aux publics visés (filles et/ou garçons, origines sociales et nationales). De la fréquentation de tel et tel établissement, les élèves peuvent ainsi développer des perceptions très différenciées de leurs parcours.
Notre recherche vise donc, dans cette première étape, à étoffer le volume de sources disponibles pour une analyse des discours sur la réussite et leur évolution sur une trentaine d’années :
* recensement des sources disponibles produites par les établissements scolaires, publics ou privés (archives locales et nationales)15. Premiers dépouillements.
* Enquêtes orales auprès d’ancien.nes élèves des années 1950-1970: lancement d’appel à témoignage, examen des conditions de réalisation de l’enquête orale avec les sociologues pour définir une méthodologie de travail, premiers entretiens.

Des séances de travail organisées (sous la forme d’un séminaire régulier ou de journées d’études)auront pour but premier de réfléchir collectivement et de façon interdisciplinaire, aux outils et méthodes à déployer pour réaliser ce travail de recherche.

  • Des chercheur.es « associé.es », spécialistes des questions d’enseignement professionnel, participeront à ces travaux : l’objectif est d’inscrire nos travaux au sein de la dynamique de recherche actuelle sur l’enseignement professionnel16 et de susciter de nouvelles collaborations pour des projets de plus grande ampleur.
  • La formation à la recherche par la recherche : des étudiant.es de Master en histoire et en sociologie participeront à ces travaux pour penser l’articulation des méthodes et la pluridisciplinarité.

 

 

  1. Céreq (2014), Quand l'Ecole est finie. Premiers pas dans la vie active, Pascale Rouaud et Olivier Joseph (coordination)
  2. Barret C., F. Ryk, et N. Volle (2014), « Enquête 2013 auprès de la Génération 2010. Face à la crise, le fossé se creuse entre niveaux de diplôme », Bref, 319
  3. C’est par exemple le cas dans les métiers de la cuisine et de la pâtisserie que nous étudions par ailleurs, qui laissent entrevoir des parcours scolaires et professionnels diversifiés et hiérarchisés (selon les types d’écoles fréquentées, les réseaux d’apprentissage et de formation professionnels mobilisés).
  4. Jellab Aziz (2008), Sociologie du lycée professionnel. L’expérience des élèves et des enseignants dans une institution en mutation, Toulouse, Presses universitaires du Mirail
  5. Palheta Ugo (2012), La domination scolaire. Sociologie de l’enseignement professionnel et de son public, PUF.
  6. Paugam Serge (2000), Le salarié de la précarité, Paris, Puf.
  7. Pour la synthèse, voir Patrice Pelpel et Vincent Troger (2013), Histoire de l’enseignement technique, Hachette Education, et Stéphane Lembré (2016), Histoire de l’enseignement technique, La Découverte, coll. Repères.
  8. ​Les travaux sur les élèves sont rares en effet. Voir notamment les quelques pages consacrées aux élèves et aux apprenti.es par Ludivine Bantigny (2007), Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France à l’aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d’Algérie, Paris, Fayard.
  9. Sur l’usage et les valeurs du diplôme, voir Guy Brucy, Fabienne Maillard et Gilles Moreau (dirs.) (2013), Le CAP. Un diplôme du peuple, 1911-2011, PUR ; Mathias Millet, Gilles Moreau (dir.) (2011), La société des diplômes, Paris, La Dispute ; et Aziz Jellab (2014), L’émancipation scolaire. Pour un lycée professionnel de la réussite, Toulouse, PUMiral.
  10. Bonnet E, Pietropaoli K., Verley E. (2016), « Parcours de réussite des diplômés de l’enseignement secondaire professionnel », Congrès de l’AISLF, Montréal, juillet ; (2016) « Trouver sa voie – Genre et devenir des diplômé.es de l’enseignement professionnel », colloque Genre et Jeunesse, Lyon, 12 -14 octobre ; (2016) (à paraître) « Parcours d’insertion et de réussite des diplômés de l’enseignement secondaire professionnel », Céreq Echanges.

    Au printemps 2013, dans le cadre des enquêtes Génération, le Céreq a interrogé un échantillon de 33500 sortants de tous niveaux de formation, qui ont quitté le système éducatif en 2010. L’exploitation en cours porte sur les seuls diplômés d’un CAP, BEP ou Bac Professionnel en emploi au moment de l’interrogation.

  11. Sur le public étudiant, cf E. Verley (avec Giret J-F., Van de Velde C) (2016), Les vies étudiantes. Tendances et inégalités, Paris, La Documentation française ; E. Verley (avec Ferry O.) (2016), « Des études à l’emploi : comment les étudiants jugent-ils l’utilité professionnelle de leurs études ? », in Giret J-F., Van de Velde C., Verley E., Les vies étudiantes. Tendances et inégalités, Paris, La Documentation française.

  12. On connaît par ailleurs le poids des stéréotypes sexués sur l’accès à certains métiers. Bonnet E. Milly B., Tondelier M., Verley E. (2014) « La difficile féminisation des métiers à dominante masculine du transport ferroviaire : entre stéréotypes sexués du travail et représentations techniques des métiers », Travail, Emploi, Formation, n°12, 78-100.

  13. Données quantitatives de cadrage déjà réalisées sur les établissements formant à la cuisine et la pâtisserie sur l’ensemble du territoire français. Entretiens de recherche effectués auprès de chef.fes de cuisine et de pâtisserie, et de Meilleurs Ouvriers de France. Bonnet E., Villavicencio D. (2016), « Sources et ressources des chefs. Les « ingrédients » de la créativité en gastronomie », Nouvelle revue du travail, n°9.

 
 
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