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Genre et Education à la Sexualité – Histoire Territoire Enseignement (Projet 2018)

Etude d’un fonds d’archives exceptionnel et inédit, émanant de l’association « Sésame – Amour et Sexualité », dédiée à « l’éducation affective et sexuelle en milieu scolaire » depuis 1966

Ce projet s’inscrit dans l’une des 4 thématiques structurantes de la fédération de recherche RELYS relative aux Problématiques liées aux « Educations à... » et aux « Questions vives d’enseignement » qui interpellent l’institution scolaire. Porté par le groupe GEM (Genre Egalité Mixité) de l’ESPE de Lyon (Université Claude Bernard Lyon 1), un groupe interdisciplinaire travaillant depuis une dizaine d’années sur les questions de genre en éducation, ce projet qui associe des chercheurs et chercheuses de diverses disciplines repose sur l’exploitation d’un fonds d’archives exceptionnel et inédit, émanant de l’association « Sésame – Amour et Sexualité », dédiée à « l’éducation affective et sexuelle en milieu scolaire » depuis 1966.

Légué par Denise Stagnara en février 2016, au moment de son décès, à Muriel Salle, cet ensemble documentaire est révélateur de la méthode élaborée par l’Association pour aborder les questions de sexualité avec les élèves. Ils écrivent leurs questions à l’avance de manière individuelle et anonyme. Ces archives consistent donc en un ensemble de cartons contenant les interrogations des élèves, rédigées préalablement à l’intervention. Plusieurs milliers de questions manuscrites de jeunes gens et jeunes filles âgés de 10 à 20 ans ont ainsi été conservées. Ces questions, posées de manière très libre, nous sont parvenues dans des enveloppes sur lesquelles sont identifiées la date et le lieu de l’intervention (nom de

l’établissement scolaire, classe). Ce matériau permet donc d’appréhender à la fois l’imaginaire de la sexualité de ces jeunes, leur vocabulaire, leurs angoisses et leurs aspirations. Ponctuellement, ce premier ensemble documentaire est complété par les questionnaires d’évaluation adressés aux élèves qui permettent de se faire une idée de leur intérêt pour l’intervention, ainsi que de ses suites éventuelles. Plus rarement, des éléments concernant les parents ont été collectés (quelques questionnaires préalables à la rencontre permettant d’évaluer l’implication des parents dans l’éducation à la sexualité de leurs enfants, et l’idée qu’ils se font de leurs préoccupations sur ces questions).

L’exploitation de ce fonds exceptionnel, par son ampleur et son originalité, permet d’envisager une étude novatrice pour l’histoire de l’éducation à la sexualité à l’époque contemporaine. On commencera d’ailleurs par proposer un état des lieux des pratiques existantes en milieu scolaire au XXe siècle. Ainsi que l’ont montré Narboni et Picod (2004), le Ministère de l’Instruction Publique, devenu Ministère de l’Education nationale en 1923, s’est toujours intéressé au sujet. Dès le début du XXe siècle, des enseignants, professeurs comme instituteurs, font des propositions concrètes. Le professeur Pauchet, qui enseigne les sciences naturelles aux élèves des classes de Philosophie et de Mathématiques leur propose ainsi une leçon d’éducation sexuelle le 16 mai 1904 (Chambre 1966). En collaboration avec le proviseur Janelle, il aborde non seulement les aspects anatomiques et physiologiques du sujet, mais délivre aussi un discours moral peu surprenant dans le contexte du temps. En février 1911, la Sociéé française de philosophie se saisit de nouveau du sujet, et pose alors des questions d’une étonnante modernité (Durkheim 1911). Faut-il instituer un programme d’éducation sexuelle à l’école ? Quelle forme doit prendre cet enseignement ? Sur quel type de morale doit-il se fonder ? Doit-on instruire pareillement les filles et les garçons en la matière ? Cette discussion s’ancre dans un contexte de profusion des discours et des savoirs sur la sexualité, essentiellement médicaux, élaborés dès le XIXe siècle (Plumauzille 2010), en lien avec le déploiement de la sexologie, la grande angoisse de la dépopulation et la croisade hygiéniste. Dans cette perspective Léon Bérard, alors ministre de l’Instruction publique, institue dès 1921 un comité ministériel chargé d’introduire l’éducation sexuelle à l’école, mais le projet rencontre une telle opposition qu’il est rapidement abandonné. Il resurgit à partir des années 1940, puis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’institution scolaire se saisit véritablement de la question de l’éducation sexuelle. Dès lors, les initiatives menées sur le terrain par des enseignants sont plus facilement repérables, portées notamment par les Ecoles des Parents et des Educateurs qui se créent à partir de 1929. Un comité ministériel composé d’inspecteurs généraux de l’Instruction publique, de directeurs du Ministère de la Santé, de chefs d’établissements, de représentants des syndicats d’enseignants, ainsi que des fédérations de parents d’élèves, d’associations familiales et de personnalités du monde médical, est constitué en mars 1947. Sous la présidence de l’Inspecteur général Louis François, ce comité est chargé d’envisager « dans quelle mesure et sous quelle forme l’éducation sexuelle peut être donnée dans les établissements d’enseignement ». Sur la base de son rapport d’octobre 1948, l’éducation sexuelle est définie comme reposant sur une double finalité d’information et d’éducation. Il s’agit d’une part d’informer, c’est-à-dire d’enseigner aux enfants des connaissances scientifiques en matière d’anatomie, de physiologie, d’hygiène et de psychologie, mais aussi d’éduquer, en veillant à transmettre un message moral clair. Un mouvement s’amorce alors dans l’opinion publique, ainsi qu’en témoigne la presse de l’époque. Dans la société, les lignes bougent progressivement sur les questions de sexualité et de procréation. La promulgation de la loi n°67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances, abrogeant les articles L 648 et L 649 du code de la santé publique, et autorisant la fabrication, l’importation et la vente des produits et objectifs contraceptifs, dite « Loi Neuwirth », est emblématique de ces évolutions. S’ouvre alors une période de transition où coexistent une sexualité « traditionnelle », normative et imposée par en haut, liée à la reproduction et considérée comme seule légitime, et des sexualités nouvelles dans lesquelles la question du plaisir est mise en avant (Rebreyend 2003). La question de la « sexualité juvénile » se pose alors de manière renouvelée (Rillon 2015), alors qu’émerge en milieu urbain une culture juvénile adolescente favorisée notamment par la sociabilité scolaire. C’est précisément dans ce contexte que l’Association « Sésame. Amour et Sexualité » est née.

Cet état des lieux permet de mettre en perspective l’action menée par l’Association. A partir des archives de Sésame, on dressera un panorama des préoccupations des élèves, principalement ces adolescent·es, entre 1966 et 1996. A quoi rêvent alors jeunes gens et jeunes filles ? Que savent-ils de la sexualité ? et de l’amour ? Comment définissent-ils l’un et l’autre de ces termes ? Ainsi, la sexualité est-elle envisagée dans sa seule dimension reproductive, ou bien se voit-elle assigner d’autres fonctions (de plaisir ? de bien-être mental et social, etc.) ? Qu’en espèrent-ils ? Qu’en redoutent-ils ? Et quels discours sur la sexualité leur proposent leurs éducateurs ? Quelle communication entre adultes et jeunes parvient-on à caractériser au regard de ces documents ? Est-il possible d’y repérer une évolution, ou au contraire des permanences ? Les préoccupations des jeunes gens et celles des jeunes filles sont-elles toujours différentes ?

Une cartographie des lieux d’intervention pourra être établie, et le profil sociologique des établissements concernés devra également être étudié. Repère-t-on des différences de questionnements selon les lieux ? La spatialisation des pratiques sexuelles date des années 1970 aux Etats-Unis. En France, le champ de la géographie de la sexualité a acquis une légitimité depuis la thèse de Marianne Blidon en 2007. Dans ce projet de recherche, la question des représentations liées aux corps et aux désirs sera questionnée d’un point de vue socio-spatial, tant du côté des jeunes que du côté des membres de l’association. Celle-ci privilégie-t-elle certains quartiers, et si oui lesquels et pourquoi ? Les politiques d’éducation à la sexualité reposent en partie sur la construction d’imaginaires géographiques qui en retour participent à la production de certains types d’espaces. La sexualité peut dès lors être envisagée comme un système politique qui définit le féminin et le masculin par la polarisation sexuelle socialement organisée des corps (Blidon 2012). Dans cette acception, le corps et les désirs sont-ils normalisés et appréhendés de manière normative, quel que soit le lieu ? Et si oui comment ? Michel Bozon (2006) note que « l’expérience personnelle, directe ou indirecte, que chacun a de la sexualité, fait de tout individu un redoutable “spécialiste”, rebelle aux interprétations générales et aux objectivations, mais en fait moins apte à élaborer des théories originales qu’à reprendre à son compte des préconstructions issues du monde social ». Comment le terrain, en retour, travaille-t-il les membres de l’association ?

Enfin, l’Association « Sésame – Amour et Sexualité », quoi que laïque et apolitique, est fondée par un couple profondément catholique et promoteur des Amours fidèles, pour reprendre le titre que Denise Stagnara, donatrice des archives, donne à sa thèse en sciences de l’éducation soutenue en 1989. Cela se traduit-il dans les propositions éducatives portées par l’association ? Ce projet est-il original ou, au contraire, révélateur du contexte du temps ? Surtout, cela entre-t-il en résonnance ou, au contraire, en contradiction, avec le projet porté par le Ministère, et avec le discours de l’Eglise. L’étude du vocabulaire mobilisé par les intervenants sera ainsi menée, et confrontée à celui des institutions scolaires et cléricale. « Information sexuelle », « éducation sexuelle », « éducation sexuelle et affective », « éducation à la sexualité » : chacun de ces syntagmes renvoie à une conception de l’éducation comme de la sexualité originale, qu’il conviendra d’expliciter.

Au total, à la croisée de l’histoire et de la sociologie, mais aussi des sciences de l’éducation, de la géographie, de la philosophie et de la didactique de la biologie, notre équipe interdisciplinaire espère contribuer, à partir de cet abondant ensemble documentaire, à une réflexion féconde sur l’histoire de l’éducation à la sexualité. Ce sera d’ailleurs l’occasion, au- delà même du travail à proprement parler sur le fonds Stagnara, de dresser un panorama de l’éducation à la sexualité en France à l’époque contemporaine. La participation à ce projet d’une collègue civilisationniste permet d’ailleurs d’envisager des comparaisons à l’échelle internationale.

Le fonds Stagnara permet d’appréhender la sexualité dans deux des trois dimensions définies par le sociologue matérialiste britannique Stevi Jackson. C’est d’abord une « institution », puisqu’elle participe à instituer la hiérarchie des sexes et des sexualités, et prend donc une part active à l’élaboration et à l’entretien du système de genre (Parini 2006). C’est aussi une « expérience », c’est-à-dire l’ensemble des « pratiques érotiques », imaginées, envisagées ou effectives (Jackson 1996). En tant que pratique instituée, la sexualité peut être considérée comme participant activement d’un système de genre, c’est-à-dire de « rapports entre les hommes et les femmes (qui) ne sont pas de simples relations interindividuelles, (mais qui) s’inscrivent dans des rapports sociaux qui transcendent les individus » (Bidet-Mordrel, 2010). Mais si la production historiographique concernant la sexualité est assez considérable (pour un bilan voir Rebreyend 2005, Nye 2010, Chaperon et Hanafi 2013), car la sexualité est un sujet historique légitime depuis plusieurs décennies déjà (Foucault 1976 et 1984, Knibiehler 2002), il n’en va pas de même de l’éducation à la sexualité, qui demeure encore lacunaire au regard de son introduction résistible au sein du système éducatif français.

L’histoire de l’éducation à la sexualité, définie comme l’« accompagnement de l’enfant, de l’adolescent ou de l’adulte jeune, vers l’épanouissement sexuel, tant physique, affectif que psychologique » (Brenot 2007) permet pourtant d’interroger ces perspectives. Elle permet de montrer par quels moyens et en quels termes les sociétés contemporaines tentent de réguler et définir la sexualité des populations et des individus, en intervenant directement dans son apprentissage, sa conception et ses pratiques. Ce faisant, l’éducation à la sexualité participe activement de l’élaboration d’un système de genre (Parini 2006) dont les normes, évolutives (Butler, 1990), peuvent être appréciées par ce prisme. On montrera ce qui se noue et ce qui se joue en termes de transmission des normes de genre, entendu non pas au sens de catégorie mais pris dans son sens relationnel (Flahaut 2012), lorsqu’on évoque ces questions de sexualité. On soulignera la diversité des lieux, des modalités d’apprentissage, et des acteurs de cet apprentissage (éducateurs et éducatrices, parents, pairs, etc.).

Une histoire de l’éducation à la sexualité permet en outre d’envisager une réflexion sur ce en quoi consiste l’acte même d’éduquer selon les contextes et les finalités qu’on lui assigne. L’éducation à la sexualité, associant savoirs intimes et connaissances scientifiques, pose certaines difficultés. S’il est relativement aisé d’enseigner des connaissances validées par une communauté scientifique (celle de la médecine et des SVT), il est beaucoup plus complexe d’aborder la question des savoirs intimes où les processus psychologiques en jeu, les représentations sociales, la culture et l’histoire du sujet se mêlent. Des questions éthiques complexes se posent aux enseignants.

Bibliographie

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